«J’espère, je veux et j’exige que justice soit faite»

 

 
Transcription du témoignage de la mère de Fredy Villanueva *
 
 
 
Le coroner : Buenos días,señora.
 
Mme Madrid : Buenos días, coroner.
 
[assermentation de l’interprète]
 
Le Coroner : Madame Antunes Villanueva, comme il y a un interprète qui va faire la traduction de ce que vous allez me dire en espagnol, je vais vous demander de faire un effort pour lui laisser le temps de traduire au fur et à mesure. Je vous écoute.
 
Mme Madrid : Aujourd’hui je suis ici.
 
Je sais que vous, monsieur le coroner, vous connaissez la vie de tous les témoins, mais vous ne connaissez pas la vie de Fredy.
 
Je vais commencer en parlant de Fredy quand il est arrivé, à huit ans, ici, au Canada.
 
Mes enfants sont venus, adaptés à la coutume chrétienne. Quand ils sont venus ici, ils appartenaient à un chœur chrétien que nous pratiquions à la maison avec mon pasteur.
 
Quand Fredy est arrivé, il a commencé à l’école, il était un enfant très centré et bien élevé, très dédié à ses études, très engagé dans ses études.
 
J’ai habitué mes enfants à ce qu’ils travaillent la terre lorsque nous sommes arrivés ici.
 
C’était des enfants très travaillants.
 
Des enfants qui ne sortaient jamais à la rue sans la permission de leurs parents.
 
Fredy et Dany n’ont jamais dormis hors de la maison.
 
Je les ai tellement protégés que je ne leur ai jamais permis qu’ils prennent le transport en commun.
 
Je les ai habitué à cuisiner, à m’aider à la maison.
 
Fredy, surtout, aimait beaucoup emprunter des livres à la bibliothèque.
 
Il était très intéressé à découvrir l’histoire du Québec.
 
Il aimait bien que je lui lise des extraits de la Bible.
 
J’amenais mes enfants, tous les dimanches, pour qu’ils assistent au culte de l’église.
 
Fredy a grandi comme étant le plus bon, le plus pur, le plus aimé, de tout Montréal-Nord.
 
Il n’était pas un enfant agressif, il ne se fâchait jamais, il avait toujours le sourire aux lèvres.
 
Mes enfants demandaient toujours à travailler durant leurs vacances pour pouvoir se payer leurs affaires.
 
Fredy a fait son primaire et son secondaire ici, au Canada.
 
Mes enfants ne se sont jamais battus entre eux, c’était des enfants très bien élevés.
 
J’ai été une mère très rigoureuse, affectueuse et rigoureuse avec mes enfants.
 
J’ai une fille qui a des problèmes comme handicapée.
 
Fredy et Dany protégeaient beaucoup cette enfant.
 
Fredy était mon bébé.
 
Monsieur le coroner, j’aimerais vous montrer une photo de Fredy.
 
Le coroner : Certainement, madame. Il y en a trois, c’est ça ?
 
Mme Madrid : Trois ou quatre, je pense.
 
Le coroner : Il y en avait une de collée. Il y a en a quatre, c’est bien ça, madame. Il y a aura des copies qui seront faite pour tout le monde de ces photos-là qui me sont exhibées. Vous voulez les reprendre momentanément avant de me les remettre ? Vous préférez qu’on fasse des copies pour conserver ces originaux ?
 
Mme Madrid : Vous pouvez en faire des copies et les distribuer.
 
Le coroner : Parfait, on vous remettra les originaux, madame, par le biais de Me Georges-Louis.
 
Mme Madrid : Je vais continuer avec ce que je disais sur Fredy.
 
Fredy a grandit à Montréal-Nord.
 
Ça a été un bon frère, un bon ami, un bon oncle et un excellent fils.
 
Fredy était surprotégé par toute la famille parce que c’était le plus jeune.
 
Chaque fois qu’il avait des vacances, il me demandait de lui trouver du travail, peu importe où.
 
Parce qu’il voulait avoir de l’argent pour acheter des bonnes choses pour lui.
 
Cette année-là, 2008, Fredy a terminé son secondaire quatre.
 
Lorsqu’il a terminé son secondaire quatre, il m’a demandé pour aller travailler parce qu’il voulait payer ses broches.
 
Il voulait travailler parce qu’il voulait faire un DEP en électricité de voiture.
 
Fredy avait un grand projet pour l’avenir.
 
Lui et Dany planifiaient de monter un garage avec leur père.
 
Leur père savait comment faire le débosselage
 
Dany a commencé à étudier la mécanique.
 
Et Fredy voulait commencer à étudier l’électricité de voiture cette année-là.
 
Lorsqu’il est sorti du secondaire, il est allé à Emploi-Québec pour vérifier si on pouvait lui payer le cours qu’il voulait en DEP électronique.
 
Ils ont refusés parce qu’ils lui ont dit qu’il devait être un an sans aller à l’école, ou un an sur le bien-être social.
 
Il m’a dit qu’il voulait travailler lui-même pour payer son DEP.
 
Et Fredy a commencé à travailler au mois de juin, en faisant la collecte des haricots, à Saint-Rémy.
 
Il se levait à 5h30 du matin.
 
Il travaillait jusqu’à 11h du soir.
 
Son patron, en voyant les habilités de ce jeune qui avait à peine de 18 ans, lui a donné la responsabilité de transporter dix-huit personnes du métro Côte-Vertu jusqu’à Saint-Rémy.
 
Fredy faisait quatre heures de voyagement, aller-retour.
 
Monsieur le coroner, vous avez dans les mains la photo du dernier jour où Fredy était en vie.
 
Le coroner : Laquelle ?
 
Mme Madrid : Là où vous le voyez ramasser les haricots.
 
Le coroner : Avec vous ? Ramasser les haricots avec vous ?
 
Mme Madrid : Oui, ce jour-là j’étais avec lui.
 
Le coroner : C’est vous qui êtes à côté de lui ?
 
Mme Madrid : Oui.
 
Le coroner : C’est la veille ou c’est le jour même de son décès ?
 
Mme Madrid : C’est le jour avant sa mort.
 
Le coroner : Le vendredi.
 
Mme Antunes : Il était supposé d’aller travailler samedi parce qu’il travaillait du lundi au samedi, et puis parfois il travaillait aussi les dimanches.
 
Toutes les deux semaines, il travaillait les sept jours de la semaine.
 
Fredy aimait dessiner.
 
Ses passe-temps étaient de jouer au Nintendo et de voir des films.
 
Il jouait beaucoup avec Dany.
 
Dany le surprotégeait, surtout après qu’il ait fait de la prison.
 
Le jour où Fredy a été assassiné, j’ai demandé à Dany de sortir son frère pour qu’il se change les idées parce que ça faisait deux mois que mon fils travaillait durement.
 
Dany me chicanait toujours parce qu’il me disait : je n’aime pas sortir avec mon frère.
 
Quand je donnais à Fredy la permission de sortir, que Dany arrivait à la maison et qu’il ne le trouvait pas, il me demandait pourquoi j’autorisais Fredy à sortir.
 
Je lui disais que c’était pour éviter qu’il passe autant de temps à jouer au Nintendo ou à regarder la télévision.
 
Mais je lui permettais de sortir de la maison au maximum trois heures.
 
Fredy ne me demandait jamais rien, je lui demandais si jamais il avait besoin de quelque chose.
 
On ne pouvait entacher mon fils.
 
Il n’est jamais allé à un bar ou une discothèque, également parce que Dany ne lui permettait pas.
 
Il obéissait beaucoup à son frère, parce qu’il savait que son frère le surprotégeait.
 
C’est pour ça que Dany voulait toujours que Fredy soit à mes côtés.
 
Ce jour-là, je lui ai dit de sortir avec son frère pour qu’ils aillent manger à l’extérieur.
 
Je n’avais aucune idée que ce jour-là, Fredy ne reviendrait jamais à la maison.
 
Fredy n’est pas mort.
 
Qu’est-ce que je dois faire pour que mon fils revienne dans ma vie ?
 
Pourquoi est-ce qu’un maniaque et un assassin est-il apparu dans notre vie ?
 
Pourquoi a-t-il choisi la personne la plus pure qui existe en ce monde ?
 
Pourquoi s’en prendre à mes fils seulement parce que nous sommes des immigrants ?
 
Je suis sûre que si Fredy ou Dany avaient été blancs ou québécois, cette tragédie ne se serait pas produite parce que c’était à cause du profilage racial et mon fils est mort.
 
Cet assassin m’a mutilé.
 
Il m’a arraché une partie de ma vie.
 
Il a détruit ma famille.
 
Il a détruit le projet que mon mari et mes enfants avaient.
 
Et plus que tout, celui qu’il a le plus détruit, c’est Dany.
 
Il est très difficile pour moi de voir tous les jours Dany se réfugier dans le cimetière parce qu’il a envie de voir son frère.
 
La vie de Dany est détruite.
 
Sa vie et la mienne ne vont plus jamais être la même.
 
Dany n’avait qu’un seul frère.
 
Un seul frère.
 
Il n’en aura pas d’autres.
 
Son bébé, ils le lui ont enlevé devant ses propres yeux.
 
Il en est marqué pour toute la vie.
 
Pensez-vous, monsieur le coroner, que l’émeute qui a eu lieu à Montréal-Nord ça s’est fait parce qu’ils ont tué un criminel, un assassin, ou quelqu’un d’un gang de rue ?
 
Non, monsieur le coroner, l’émeute a eu lieu parce qu’on savait que c’est un être innocent qui a été tué.
 
Que c’était une injustice.
 
C’était une injustice ce que ce policer est allé commettre à Montréal-Nord.
 
Parce qu’il a assassiné Fredy pour rien.
 
Ce jour-là, il est allé se décharger de la colère qu’il avait en lui contre mes enfants, contre mes fils et contre les autres jeunes qui ont également été ses victimes.
 
Ça fait plus de deux ans, maintenant, que j’attends ce moment d’être assise, ici, devant vous.
 
Parce que durant cette enquête j’ai entendu des choses qui, franchement, ne sont pas vraies.
 
Par exemple, lorsqu’on a mentionné que la famille avait peur que Dany soit déporté.
 
Cela, ce n’est pas vrai.
 
Je n’avais pas peur que Dany soit déporté parce qu’il avait déjà payé pour sa faute.
 
L’avocat de la Ville de Montréal est celui qui a inventé tout ça.
 
Je sais qu’il est ici, non pas pour savoir comment est mort Fredy, pourquoi on l’a tué, mais plutôt pour sauver l’argent de la Ville de Montréal.
 
Je n’ai jamais demandé d’argent à qui que ce soit.
 
La vie de Fredy n’a pas de prix.
 
S’il y a quelque chose que je vous demande, c’est plutôt de me rendre la vie de mon fils.
 
Et qu’il rétablisse aussi une vie normale à Dany parce que c’est cela qu’ils ont détruit.
 
Je demande justice.
 
Je demande que cet assassin soit incarcéré.
 
C’est une honte pour le corps policier que cet homme soit encore en service.
 
Que pouvons-nous attendre de personnes comme celles-là ?
 
J’espère obtenir justice.
 
J’ai entendu tous les défenseurs de cet assassin.
 
J’ai pris une décision, de sortir le cas de mon fils à la Cour suprême des États-Unis.
 
Je vais lutter jusqu’au bout car ce n’est pas un chien qu’on a assassiné.
 
Le coroner : Quand vous dites, madame, la Cour suprême, vous référez à la Cour suprême du Canada ?
 
Mme Madrid : À l’ONU.
 
Le coroner : À l’ONU.
 
Mme Antunes : Fredy a besoin de la justice.
 
Parce qu’il n’a jamais fait de tort à personne.
 
Il était incapable de faire du mal à qui que ce soit.
 
Je sais que ce jour-là, Fredy est mort avec beaucoup de panique parce qu’il a vu le policier sortir son arme, il a voulu courir, mais l’assassin ne lui a pas donné le temps.
 
Je suis sûre de cela, Fredy était incapable de lever un doigt sur quiconque.
 
C’est moi qui ai accouché de mon fils.
 
Je suis la seule personne qui le connaissait, et c’est pour ça que je suis sûre que Fredy ne méritait pas cette mort parce que Fredy n’a absolument rien fait.
 
Je sais qu’il était plein de panique à la vue de son frère que l’on étranglait par terre, mais il n’était pas capable de faire quelque chose.
 
Fredy ne pouvait rien faire, il était incapable de faire quoi que ce soit.
 
Il était trop timide.
 
Il craignait tout, il a été élevé dans beaucoup de timidité.
 
Comment est-il possible que l’avocat de la Ville de Montréal ait dit - j’étais présente ce jour-là et je le dit parce que j’en suis sûre - que Dany était coupable de la mort de son frère ?
 
Le seul coupable ici a un nom et un prénom.
 
Il s’appelle Jean-Loup Lapointe.
 
C’est lui l’assassin de mon fils et c’est lui qui doit payer pour cette mort injuste.
 
J’espère, je veux et j’exige que justice soit faite.
 
Il a enlevé à mon fils toutes ses bonnes idées, tous ses espoirs, tout son futur qu’il avait devant lui.
 
Il a marqué notre vie à tous dans notre famille.
 
Il nous a laissé une blessure qui ne se cicatrisera jamais.
 
Il m’a enlevé une partie de ma vie.
 
Il m’a enlevé mon bébé.
 
Le coroner : Avez-vous une dernière chose à me dire, madame Antunes ?
 
Mme Antunes : Ce que je veux dire, monsieur le coroner, c’est merci beaucoup de m’avoir écouté.
 
J’espère que vous prendrez une bonne décision pour que la justice soit faite.
 
Fredy est mort pour rien.
 
[applaudissements]
 
Le coroner : J’aimerais simplement dire, madame Antunes, que je l’ai la conviction que votre fils Fredy serait très fier du portrait que vous avez dépeint de lui aujourd’hui. Il serait fier du portrait qu’il a laissé à sa mère. Muchas gracias señoraAntunes Villanueva. Animo. Buena suerte.
 
Mme Madrid : Merci.
 
 
 
* Quelques passages de la traduction de l’espagnol vers le français ont été modifiés afin de rendre le propos de Mme Antunes le plus clair possible.