La CRAP dénonce les modifications annoncées au règlement P-6

Voici le texte de l’allocution de la Coalition contre la répression et les abus policiers qui a été prononcée à la séance de consultation de la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal sur les modifications au règlement P-6, le 16 mai 2012.

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C’est une erreur de penser que les manifestations dont le trajet n’est pas communiqué au préalable aux autorités policières sont sujettes à des actes criminels.

Je peux vous parler de l’expérience de la Coalition contre la répression et les abus policiers.

Moi, je peux vous dire que depuis les quatre dernières années, la Coalition a organisée plusieurs manifestations à Montréal-Nord, qui se sont toutes terminées dans le calme. Et on n’a jamais donné notre trajet aux policiers. Et on veut rien savoir de donner notre itinéraire aux policiers.

Pourquoi ?

Parce qu’on est incapable de faire confiance à un service de police qui a déjà envoyé un agent provocateur en août 2009 pour essayer d’infiltrer notre Coalition. Le policier du SPVM James Noël, alias Joseph James, alias Will Joseph Junior, nous avait envoyé un courriel, à quelques jours de la tenue d’une de nos manifestations, dans lequel il tenait un langage incendiaire. Il a écrit, et je cite : « Il faut qu'on s'tienne no matter what. Mes boyz sont près a faire le war. … Écris-moi back pour kon puisse organizé kelkechose de fucktop. »

Si ça ce n’est pas de la provocation policière, je me demande bien ce que c’est !

Je tiens à souligner que ce courriel a été envoyé une journée après que notre organisation ait tenu une conférence de presse dans laquelle on avait appelé à manifester dans le calme. Le service de police n’avait donc aucun motif de croire qu’on était en train d’organiser une manifestation violente, bien au contraire.

De toute évidence, organiser des manifestations pacifiques n’est pas suffisant pour enlever à la police la tentation de tendre des pièges à des organisations comme la nôtre. Je comprends que le SPVM peut trouver un intérêt à essayer de faire mal paraître des groupes qui critique la police et qui la font mal paraître à son tour.

Mais ne venez pas nous demander, après ça, pourquoi on ne veut pas fournir d’informations au service de police !

Nous autres, à la Coalition, on est convaincu que certains policiers vont abuser des nouveaux pouvoirs que vous vous apprêtez à leur donner, de la même façon que certains policiers ont abusé de leur pouvoir lorsque le conseil municipal de Montréal a modifié le règlement P-6 pour interdire à quiconque d’avoir un objet contondant lors d’une manifestation, en décembre 2000.

Je vous dis cela parce qu’il y a une manifestante qui est en procès à la Cour municipale de Montréal, depuis l’an dernier, après qu’elle eut été arrêté par des policiers alors qu’elle se dirigeait vers une manifestation contre la brutalité policière, il y a de cela plus de deux ans.

Dans son rapport, l’agent Stephen Campbell du SPVM a prétexté du fait que la manifestante tenait dans ses mains une bannière, soutenu par deux bâtons, pour appliquer l’article du règlement P-6 interdisant d’avoir un objet contondant.

Ironiquement, le message de la bannière disait ceci : « Qui nous protège la police? »

Alors je vous pose aujourd’hui la question : qui va nous protéger de la police lorsque celle-ci va abuser des nouveaux pouvoirs que vous vous apprêter à lui donner ?

En créant l’obligation de communiquer au préalable le trajet de toute manifestation au service de police, vous vous apprêtez à donner aux policiers le pouvoir d’empêcher les citoyens d’exercer le droit constitutionnel de réunion pacifique qui est enchâssé à l'article 2 c) de la Charte canadienne des droits et libertés. Voilà qui serait une grave erreur de votre part.

Vous projetez même de donner au service de police le pouvoir d’ordonner un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire communiqué, et ce, pour des motifs de sécurité.

Ainsi, le service de police pourrait, par exemple, décider de nous empêcher de manifester devant un poste de quartier en invoquant un obscur motif de sécurité.

Que restera-t-il alors du droit à la liberté d’expression dans le cadre d’une réunion pacifique ?

L’organisation que je représente, la Coalition contre la répression et les abus policiers, va être directement affectée par les changements que vous voulez apporter au règlement P-6.

Si les policiers décident de raccourcir le trajet de notre manifestation, ou encore de nous faire passer par des petites rues désertes aux confins d’un no-mans-land, on aura d’autre choix que d’obéir docilement sous peine de se voir une amende minimale de 500$.

Moi je peux déjà imaginer que l’application de ces nouveaux pouvoirs va faire monter la tension entre policiers et manifestants.

Il faut que vous compreniez que les gens qui viennent dans nos manifestations ont souvent de la colère envers la police ; nous, autres à la Coalition, quand on prend la rue, c’est non seulement pour passer un message, mais aussi pour créer un cadre permettant aux gens de ventiler cette colère pacifiquement en se défoulant verbalement.

Avec les modifications proposées, les manifestants vont devenir à la merci des dictats policiers ; le service de police va avoir tout la latitude de nous dire : allez par-ci, allez par-là. Bref, les policiers vont nous tenir en laisse, ils vont avoir le loisir de nous promener comme des petits chiens de poche.

Face à cette nouvelle réalité, les manifestants vont être confrontés à un dilemme difficile, voire impossible, qui se résume à choisir entre la soumission totale à l’arbitraire policier ou l’illégalité, entre la résignation ou la révolte.

Vous partez avec la prémisse que toutes les manifestations où l’on retrouve des gens masqués sont des manifestations sujettes à des actes criminels.

La possibilité que la décision de manifestants de se masquer puisse être une conséquence du fichage politique vous a-t-elle seulement effleurée l’esprit ?

Êtes-vous conscient que le fichage politique des manifestants est une réalité à Montréal?

Saviez-vous ça qu’il y a des policiers qui se promènent dans les manifestations avec des photos de manifestants, non pas parce que ceux-ci sont soupçonnés d’avoir commis des actes criminels, mais bien parce qu’ils sont fichés par les services de renseignement comme étant des organisateurs, voire des leaders ?

Je sais de quoi je parle, car à une époque pas si lointaine, c’était ma face qu’il y avait sur ces photos-là.

Quand le service de police met sur pied un projet appelé Guet des activités des mouvements marginaux et anarchistes, dont l’acronyme est GAMMA, il ne faut pas s’étonner que des manifestants appréhendent le fichage politique.

Dans un contexte où les activités et les individus sont ouvertement ciblés par la police en fonction des convictions politiques qui leur sont associés, ce n’est pas bien difficile à comprendre que les manifestants sont de plus en plus nombreux à vouloir dissimuler leur identité.

Pour toutes ces raisons, je demande aux membres de la Commission de la sécurité publique de réfléchir sérieusement aux conséquences des modifications que vous voulez apporter au règlement et j’invite les élus montréalais à se prononcer contre ce projet de modifications du règlement P-6.

Alexandre Popovic

Coalition contre la répression et les abus policiers