Une balle perdue est si vite arrivée

 

Ça aurait pu arriver à n’importe qui.
 
C’est ce que bon nombre de gens se disent au sujet de Patrick Limoges, ce passant décédé après avoir reçu une balle perdue tirée par un agent du Service de police de la Ville de Montréal, le 7 juin dernier.
 
Car nombreux sont les citoyens plus enclins à se reconnaître en celui qui a été victime d’un hasard malheureux plutôt qu’envers l’autre défunt, Mario Hamel, lequel a été dépeint comme un itinérant aux prises avec des problèmes de santé mentale.
 
Quoi de plus « normal » de la part des « monsieur et madame tout-le-monde » que de se sentir davantage d’affinités avec la victime qui se rendait tranquillement au boulot au moment où il a été atteint par un projectile d’arme à feu plutôt qu’envers l’autre victime, qui tenait un couteau dans les mains durant les derniers instants de sa vie.
 
Pourtant, quand on y regarde de plus près, force est de constater que ce qui est arrivé à Monsieur Hamel aurait également pu arriver à beaucoup plus de gens que certains veulent bien l’admettre.
 
« Il a été quelqu’un de très actif, de très travaillant durant plusieurs années. Il adorait ses enfants. Par contre, ç’a dérapé il y a quelques années, lorsqu’il a fait un burn-out et une dépression et qu’il ne s’est pas soigné », a confié l’ancienne conjointe du défunt. (1)
 
Burn-out et dépression.
 
Qui est vraiment à l’abri d’une telle descente aux enfers ?
 
Saviez-vous qu’environ une personne sur dix au Québec va souffrir d’une dépression majeure à un moment ou à un autre dans sa vie ? (2)
 
Ce qui donne environ 700 000 personnes.
 
L’équivalent de la population d’un grand centre urbain.
 
« Personne n’est à l’abri des maladies mentales. En 2020, elles seront la première cause de maladie avant le cancer ou les maladies cardiaques », a lancé Yves Lamontagne, ancien président du Collège des médecins et ancien président de l’Association des psychiatres du Québec. (3)
 
Bref, ce qui est arrivé à Mario Hamel aurait également pu arriver à n’importe qui.
 
Certains de ceux qui l’ont côtoyé durant les dernières semaines de sa vie ont fait des déclarations aux médias à l’effet qu’il avait « disjoncté » et tenait des propos déments.
 
Autrement dit, il était perdu.
 
Et, en ce sens, la balle qui a tué Mario Hamel était aussi une balle perdue.
 
3 balles, 2 morts
 
Le jour même du drame, un témoin, dont l’identité n’a pas été révélée, a raconté avec multiples détails l’ensemble de l’événement à l’émission « Le Vrai Négociateur » du chroniqueur judiciaire Claude Poirier. (4)
 
« Comme à tous les matins, je pars à vélo vers 6h pour faire une randonnée en ville », a-t-il dit en guise d’introduction à sa narration des faits.
 
Rendu à l’angle des rues Sainte-Élisabeth et Sainte-Catherine est, une scène plutôt inusité s’est offerte à ses yeux, vers 6h40, quelques minutes avant le commencement de l’heure de pointe.
 
« Je vois des vidanges qui sont étendues dans la rue. Alors je dois faire comme un peu du slalom avec mon vélo pour éviter les vidanges, il y a en partout, partout. Et un petit peu plus loin, je vois un grand monsieur qui éventre des sacs de vidange et prends plaisir à les étendre un peu partout dans la rue puis des deux côtés. Alors quand j’arrive à sa hauteur, je lui dit : "Heille, ça va pas bien dans le chapeau, le monsieur là, ça va pas bien ce matin" », raconte-t-il.
 
« Et là il dit, "viens ici toi, je vais t’arranger le portrait, m’a te le dire ce qui va pas bien à matin". Alors je remarque qu’il éventre les sacs de vidange avec quelque chose que je crois être un couteau. Alors c’est sûr que je m’éloigne et que j’appelle la police. J’appelle le 911. Alors j’explique exactement qu’est-ce qui se passe, je leur donne mon nom, etc. », continue-t-il.
 
« Cinq minute après il arrive une première voiture de police puis là ils essayent d’interpeller le monsieur qui marche toujours sur la rue Sainte-Catherine, en ma direction. Alors moi j’avance avec mon vélo. Finalement, rendu au coin de Saint-Denis, il tourne vers le sud en direction René-Lévesque et là les policiers sont quatre là maintenant et le talonnent d’assez près et lui crient : "Mario, lâche ton couteau, lâche ton couteau." Et il veut pas lâcher le couteau. »
 
« Ils suivent à la trace, ils suivent, ils sont à quatre, cinq pieds de lui », précise-t-il. « Je sais que les quatre policiers l’ont mis en joue, là, ils ont leur revolver dans les mains pis ils mettent en joue le monsieur là. »
 
« Un policier s’avance d’un peu plus près, probablement pour l’intercepter, et voilà que lui, fait le pas pour s’avancer vers le policier et là, trois ou quatre coups de feu ont été tirés. »
 
« Moi je suis à peu près vingt, vingt-cinq pieds de qu’est-ce qui se passe. Alors il tombe par terre bien entendu. Et là les policiers s’approchent, un qui donne un coup de pied pour éloigner le couteau. Mais quelques secondes plus tard, il y a un policier qui part à courir en direction René-Lévesque. Alors je le suis avec mon vélo, je sais pas qu’est-ce qui se passe », poursuit-il.
 
« Et là, il y a quelqu’un qui est étendu par terre, mais là là, wow, tombé comme une poupée qui tombe par terre. Et là les policiers essayent de le ranimer, enfin de le toucher, etc., mais il semble très mal en point. »
 
Au total, trois balles ont été tirées par deux des quatre policiers présents sur les lieux.
 
Mario Hamel, 40 ans, a été abattu de deux balles, une dans le bas du ventre, et l’autre dans la gorge, alors qu’il se trouvait à seulement un coin de rue de la maison de chambres Eugène-Bernier, où il vivait depuis deux ans. (5)
 
Patrick Limoges, 36 ans, a été atteint à la nuque par un projectile qui a ricoché au sol, alors qu’il se trouvait à seulement une vingtaine de mètres de l’Hôpital Saint-Luc, son lieu de travail.
 
Quant aux quatre policiers impliqués dans l’intervention fatidique, tout ce qu’on sait d’eux jusqu’à présent, c’est qu’ils sont tous de sexe masculin et qu’ils cumulent plusieurs années d’expérience au SPVM. (6)
 
Notons que l’intervention a été filmée par une caméra de surveillance d’un pavillon de l’Université du Québec à Montréal, sur la rue Saint-Denis.
 
Une alternative à la force mortelle ?
 
Ils étaient quatre policiers contre un homme en crise armé d’un couteau. Et la seule chose que ces policiers ont trouvé à faire, c’est de lui tirer dessus.
 
Ils ont fait parler leurs armes à feu.
 
« Ça semble très excessif », a commenté Will Prosper, un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada aujourd’hui porte-parole du groupe Montréal-Nord Républik, lors d’une entrevue au réseau CTV. (7)
 
« Si vous recevez un appel comme quoi une personne en détresse qui déchire des sacs de poubelles, il faut prendre des précautions avant de l’approcher. Il faut s’assurer que le public reste loin de lui. Il faut prendre une petite distance. Ça n’aurait jamais dû se terminer par le décès de deux personnes, en particulier la personne qui ne faisait que passer », a déclaré Monsieur Prosper.
 
« J’ai fait face à une situation similaire. Il y avait une personne en détresse, alors que je travaillais comme policier, s’est rappelé l’ancien policier.  La personne est en détresse, elle a un couteau et elle est en colère avec tous les gens autour d’elle, je dois m’assurer que tout le monde est en sécurité. »
 
« On est formé en tant que policier et on est trois policiers. La première chose qui me vient à l’esprit c’est de prendre une distance sécuritaire avec la personne qui a le couteau et la même chose pour l’autre policier. L’autre lui faisait face », raconte Monsieur Prosper.
 
« Je l’ai aspergé de poivre de Cayenne mais ça ne l’a pas atteint à cause de la distance. Alors j’ai changé mon approche. J’ai utilisé mon bâton télescopique. Je l’ai approché par derrière. Pendant que mon partenaire lui parlait, j’ai été capable de le frapper à son bras qui tenait le couteau. Et il a juste laissé tomber son couteau », conclut-il.
 
« Nous avions régulièrement affaire à des contrevenants armés de couteaux, a expliqué un ancien agent du métro de Montréal à La Presse. Nous n’avions pas d’arme à feu, mais nous arrivions à les maîtriser, notamment avec les PR-24 », ajouta-t-il, en faisant allusion aux bâtons à poignée latérale mesurant vingt-quatre pouces. (8)
 
Le tableau sur l’emploi de la force que reçoivent tous les élèves de l’École nationale de police du Québec, à Nicolet, suggère bien d’autres moyens de défense que les armes à feu, même en cas d’« agression physique grave ». Le bouclier, le levier et la diversion sont spécifiquement mentionnées.
 
« Quel que soit le niveau ou le type de force utilisé, le policier doit toujours envisager la possibilité de se retirer lorsque cela lui semble plus approprié et qu’il lui est possible de le faire », lit-on également au bas du document, en petits caractères.
 
« Le policier peut dégainer son arme de service en situation de danger. Cependant, il ne doit faire feu qu’en dernier recours, lorsqu'il a des raisons de croire que sa vie ou celle d'une autre personne est en danger, en tenant compte de la présence possible de tierces personnes et du milieu environnant », indique la procédure du SPVM au sujet du recours à l’arme à feu.
 
« L’utilisation de l’arme à feu, c’est le maximum de force qu’on peut opposer à un individu, a rappelé Richard Dupuis, ex-commandant de la division des crimes majeurs du SPVM, sur les ondes du réseau TVA. Donc, lorsqu’on est rendu à cette étape-là, il faut arrêter, stopper la menace. Et la façon la plus rapide et la plus décisive de stopper la menace c’est de viser ce qu’on appellera la masse et pour éviter, comme c’est arrivé ce matin, éviter des balles perdues, on va tenter de frapper le plus haut, la plus grosse cible chez un individu et normalement on va tirer ce qu’on appelle "le coffre". » (9)
 
Coupable d’avoir l’air « bizarre »
 
Le drame du 7 juin 2011 ne va pas sans rappeler une autre intervention policière tragique au centre-ville montréalais lors de laquelle un homme armé au comportement « étrange » a été abattu et un passant sérieusement blessé par une balle perdue.
 
Les faits ne datent pas d’hier. L’événement remonte au vendredi 7 octobre 1988.
 
Notons que cette affaire a donnée lieu à une enquête du coroner, en septembre 1989, à un procès devant le Comité de déontologie policière, en février 1991, et à un procès au civil devant la Cour supérieure du Québec, en mars 1995.
 
Commençons par le commencement.
 
Deux ambulanciers d’Urgence-Santé, Robert Golby et Michael McHugh, étaient stationnés sur le côté nord de la rue Sainte-Catherine ouest, à l’ouest de l’intersection de la rue Drummond.
 
Ce secteur achalandé est connu pour sa concentration de discothèques, clubs de nuit, bars, restaurants et autres lieux de rencontre, ainsi que plusieurs commerces de vente au détail.
 
Vers 19h40, un homme barbu, de « taille imposante », attira l’attention des deux ambulanciers. Il était vêtu d’une veste et d’un pantalon de couleur kaki, se promenant sur la rue Sainte-Catherine ouest, un cigare à la bouche et les mains dans les poches, laissant voir la crosse d’un revolver dépassant sa ceinture au milieu du ventre.
 
L’homme en question s’appelait José Carlos Garcia. Il était âgé de 42 ans.
 
« Il n’adresse mot à personne et ne pose aucun geste menaçant ou agressif », écrit le coroner Gilles Perron, qui a présidé une enquête publique sur les causes et circonstances du décès de Monsieur Garcia.
 
Pour les deux ambulanciers, l’homme leur semblait « étrange, bizarre, dangereux même, "out of place" ». Toutefois, les passants qu’il croisait « semblent l’ignorer ».
 
« Selon McHugh, lui et son partenaire n’ont pas immédiatement communiqué avec les policiers de la Communauté urbaine de Montréal ; toutefois, alors qu’ils étaient en route, rue Sherbrooke direction est, pour répondre à des instructions reçues de leur dispatcher, ils auraient vu une auto patrouille du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal et le partenaire de McHugh aurait rapporté à son occupant ce qu’ils avaient vu », lit-on dans un jugement rendu par la Cour supérieure du Québec.
 
L’agent Alain Richard communiqua ensuite le signalement de l’homme sur les ondes des policiers du secteur. Les agents Lyne Fournier et Pierre Roberge arrivèrent peu après sur les lieux. Aux yeux de l’agent Roberge, l’homme semblait « perdu et avoir l’esprit ailleurs ».
 
« J’ai ordonné à l’individu de s’immobiliser en lui criant : "Arrête!...police!..." », expliqua l’agent Richard durant son témoignage à l’enquête du coroner. (10) Au lieu d’obtempérer, l’homme se mit plutôt à courir sur la rue Drummond vers le sud, puis s’engagea sur Sainte-Catherine ouest en direction est avant de prendre la rue Stanley vers le nord. « Il y a eu une tentative de la part de Richard d’"enfarger" monsieur Garcia, sans succès », nota la Cour supérieure.
 
« Quelle infraction avait donc commis cet homme pour que vous décidiez de l’arrêter? », demanda l’avocat de la veuve de Monsieur Garcia, Me Martial Pierre, à l’agente Fournier durant l’enquête du coroner.
 
« Il était question d’abord de l’intercepter, non de l’arrêter, pour lui poser des questions. Il est du devoir de tout policier d’interpeller un homme qui déambule parmi la foule un revolver bien visible glissé dans sa ceinture », répondit la policière. (11)
 
Bain de sang au centre-ville
 
Le policier Alain Richard décida alors de passer à l’action. « Il évalue que la situation doit prendre fin immédiatement car il y a menace imminente ; l’intention de Richard est donc de tirer. Il envisage rapidement l’ensemble de la situation et se sent totalement en sécurité pour alors tirer vers monsieur Garcia, ce qu’il fait », écrit la Cour supérieure.
 
C’est ainsi qu’éclata une fusillade sur la rue Stanley, en plein cœur du centre-ville montréalais. Au total, cinq balles ont été tirées, dont trois provenant des armes des policiers.
 
Les trois policiers impliqués dans l’intervention ont par la suite tous soutenu que Monsieur Garcia avait tiré le premier. Le coroner Perron en est toutefois arrivé à une conclusion différente.
 
Les policiers « sont unanimes à dire que M. Garcia a tiré en premier », nota le coroner. « Cependant, la séquence des tirs que donne l’agent Richard ne concorde pas avec celle donnée par ses collègues, tant pour l’ordre chronologique que pour les conséquences ».
 
Le coroner a plutôt retenu la version des témoins civils. « À l’analyse, les témoignages des civils qui affirment que l’un des policiers a tiré en premier sont soutenus par des éléments visuels et sonores qui ne trompent peu », lit-on dans le rapport du coroner.
 
Selon le coroner, l’agent Richard est celui qui a été le premier à ouvrir le feu. « Il s’est senti menacé et a craint pour sa vie en voyant M. Garcia courir l’arme à la main et la dirigeant avec l’élan de son bras, de façon générale, en sa direction. Il m’apparaît alors plus que probable que le policier, compte tenu de sa perception de l’événement, n’aurait pas attendu qu’un tir vienne en sa direction », conclut le coroner.
 
La juge Pierrette Sévigny de la Cour supérieure a quant à elle choisi de retenir la version policière à l’effet que le premier coup de feu provenait de l’arme de Monsieur Garcia. « Ce tribunal est convaincu qu’il aurait tiré le premier coup », tranche-t-elle. Elle a écrit dans son jugement qu’un seul des témoins qu’elle a entendue, soit Monsieur Nadeau, a affirmé « de façon claire, nette et précise » que les policiers étaient les auteurs des premiers tirs.
 
Toujours est-il que l’intervention policière se solda par un véritable bain de sang : un mort et deux blessés par balle.
 
L’agent Richard a lui-même été atteint d’une balle au bras gauche.
 
Blessé, Monsieur Garcia jeta son arme au sol et se réfugia dans un édifice de la rue Stanley abritant un YMCA. Son corps a été découvert par les policiers dans un couloir du sous-sol au milieu d’une mare de sang. Les policiers menottèrent et fouillèrent Monsieur Garcia, bien qu’il était visiblement « au bout de son sang ». Les tentatives de réanimation pratiquées par les ambulanciers n’offrirent aucun résultat.
 
Le décès de Monsieur Garcia a été attribué à une hémorragie massive consécutive à une déchirure de la veine fémorale gauche de la cuisse.
 
Rien vu venir
 
Enfin, un passant tomba devant le YMCA après avoir été atteint par une balle perdue.
 
« Quand j’ai vu l’homme couché au sol, je suis allé le voir. Il avait une blessure à la tête et saignait beaucoup. Mais la balle n’avait pas pénétré. Elle ne l’avait qu’effleuré », a raconté Bruno Plamondon, portier au Stanley Pub, au journal La Presse. (12)
 
Claude Quilliam, un retraité âgé de 59 ans, venait de sortir de la station de métro Peel et marchait sur la rue Stanley en direction sud lorsqu’il s’est retrouvé au beau milieu de la fusillade.
 
« Il témoigne qu’il ne voit rien d’anormal devant lui et que, tout à coup, il s’est senti "lever" pour immédiatement s’écrouler au sol, lit-on dans le jugement de la Cour supérieure. C’est alors qu’il va apercevoir une autre personne par terre qui lui fait signe de rester là. À un moment donné, il tente de se relever mais ne le peut pas et sa prochaine réalisation est qu’il est dans une ambulance. »
 
Lors d’une entrevue avec le journal The Gazette, Monsieur Quilliam expliqua qu’il n’a jamais rien vu venir. Ce n’est qu’une fois rendu à l’hôpital Royal Victoria qu’il apprit qu’il a été blessé par balle. Mais il ignorait toujours ce qui s’était passé. « J’ai dû lire The Gazette pour savoir ce qui m’était arrivé. » (13)
 
Au début, la police de Montréal affirma publiquement que la balle qui avait blessé Monsieur Quilliam avait été tirée par Monsieur Garcia. « Un homme est abattu après avoir blessé un policier et un passant, rue Stanley », titrait d’ailleurs un article paru dans La Presse le lendemain du drame. (14)
 
Or, la chose était difficilement possible puisque Monsieur Quilliam se trouvait derrière Monsieur Garcia au moment de l’échange de coups de feu.
 
Il faudra attendre plus de six mois avant que la vérité sorte. « Nous reconnaissons que le passant a été atteint par une balle de la police », déclara ainsi le directeur du poste 25, Roger Bouthillier, au journal The Gazette, en avril 1989. (15) Ce constat sera plus tard corroboré par l’expert en balistique à l’enquête du coroner.
 
Feu sur les passants
 
Un témoin civil accusa même les policiers d’avoir fait feu en direction des passants. Ray MacDonald, directeur général d’un concessionnaire automobile de La Chute, marchait avec sa secrétaire sur la rue Stanley au moment de la fusillade.
 
« On a entendu des tirs vers nous… j’ai jeté la fille sur un mur pour faire de nous des cibles plus petites, déclara Monsieur MacDonald au journal The Gazette. J’étais tellement en colère. Je ne savais pas qu’un policier avait été blessé. Ce qui m’a mit vraiment en colère, c’était qu’il y avait un policier qui a tiré quatre ou cinq fois dans notre direction. » (16)
 
Pour sa part, l’agent Richard ne paraissait pas particulièrement ébranlé lorsqu’il a été rencontré par un reporter du journal The Gazette sur son lit d’hôpital au lendemain de la fusillade.
 
Le policier a alors déclaré ne pas être inquiet « du tout » de revenir au travail, et ce, malgré le fait qu’il avait été impliqué dans une autre confrontation armée, cinq mois plus tôt. « Ça fait partie de la job », a-t-il indiqué. (17)
 
Blanchit en déontologie policière, Alain Richard a depuis été promu au rang de sergent-détective.
 
De son côté, Monsieur Quilliam sest retrouvé au Montreal Neurological Hospital, où il a été hospitalisé jusqu’au 4 novembre 1988. Lors de son séjour hospitalier, il a subit une intervention chirurgicale au cours de laquelle un fragment d’une balle lui a été enlevé à l’arrière de l’oreille.
 
Monsieur Quilliam a perdu totalement l’usage de son oreille droite. « Ils m’ont dit de ne pas gaspiller mon argent avec une prothèse auditive parce que le nerf est rompu ».
 
« Je suis chanceux d’être encore en vie, déclara Monsieur Quilliam au journal The Gazette quelques années plus tard. Mais je ne suis plus le même homme. Je n’ai plus mon équilibre. C’est comme si j’étais ivre en permanence – alors que je n’ai rien bu. » (18)
 
Le « non-emploi » de l’arme à feu
 
Dans son rapport, le coroner Gilles Perron a critiqué l’intervention policière qui couta la vie à José Carlos Garcia, en suggérant qu’il aurait été possible pour les policiers d’éviter le recours à l’arme à feu.
 
« J’ai été satisfait d’apprendre à l’enquête que certains secteurs de la ville, à certains jours et certaines heures, font l’objet d’une patrouille par des policiers en uniforme et des autos lettrées et qu’ils sont appuyés en toutes circonstances par des policiers en civil et des autos non lettrées », nota le coroner.
 
C’était d’ailleurs le cas au moment des faits. « À ce moment-là, le véhicule 24-80 dans lequel se trouvent les policiers en civil Pierre Thérien et Gauthier s’offrent pour couvrir le secteur et intervenir. Sur ce dernier point, je signale que tous les policiers de ce secteur savent qu’à cette heure-là ils sont secondés au besoin par des policiers en civil. »
 
« J’oserai croire que l’intervention des policiers en civil dans le secteur aurait eu tôt fait de neutraliser le danger potentiel que présentait cet homme et l’arme qu’il portait, d’autant plus que l’individu n’avait fait aucun geste pour s’en servir avant d’être poursuivi à la course », a fait ensuite valoir le coroner.
 
« Je conçois qu’un policier ne doit pas attendre de recevoir une balle avant de protéger sa vie ; par ailleurs, je crois qu’il faut s’attendre à ce que ce risque soit minimisé, surtout en pleine foule, lorsqu’une intervention discrète et surprise pourrait se faire avec l’expectative d’un résultat efficace, c’est-à-dire la neutralisation du danger potentiel sans provocation », poursuit le coroner.
 
« Je n’ai pas retrouvé d’éléments provocateurs dans l’attitude des policiers lors de l’interpellation. C’est plutôt la perception désordonnée que pouvait en avoir M. Garcia qui risquait d’aggraver la situation. Conséquemment, force est d’admettre que si l’individu présentait un danger à cause de son attitude bizarre et de l’arme qu’il portait ainsi, il présentait un danger bien plus grand si quelqu’agissement d’intervention prévisible de sa part avait pour effet probable qu’il porte la main à son arme », lit-on ensuite dans le rapport.
 
« Ces quelques réflexions sur les circonstances de l’événement n’ont pour but que de sensibiliser l’oreille des autorités sur le rappel qu’elles doivent faire à leurs préposés quant à l’emploi de l’arme à feu et, dans bien des cas, le non-emploi de cette arme au profit d’une intervention tactique plus adéquate et plus indiquée, selon les circonstances », conclut le coroner.
 
Si le SPVM avait prêté l’oreille à ce « rappel », Messieurs Mario Hamel et Patrick Limoges seraient peut-être encore en vie aujourd’hui...
 
« Dieu merci »
 
Monsieur Quilliam a quant à lui intenté une poursuite au civil de 166,023 $ devant la Cour supérieure contre la Communauté urbaine de Montréal et les agents Alain Richard, Pierre Roberge et Lyne Fournier. Il reprocha aux policiers d’avoir été négligents en faisant usage de leur arme à feu dans une rue achalandée et de ne pas avoir agit de façon raisonnable et prudente dans leur tentative d’arrêter, de contrôler et d’intercepter Monsieur Garcia.
 
L’avocat des policiers, Me Claude Hamelin, répondit aux allégations de Monsieur Quilliam en jetant le blâme sur la victime.
 
« Le demandeur, qui se trouvait sur le trottoir ouest de la rue Stanley à environ 100 pieds au nord du lieu de la chute du dénommé Garcia, aurait dû s’immobiliser et se coucher par terre ou se mettre à l’abri, à la vue de la poursuite policière et des cris des policiers, comme les autres piétons qui étaient à quelques pieds de lui », écrit l’avocat dans un document déposé devant le tribunal.
 
Dans un jugement rendu le 17 mars 1995, la juge Sévigny a rejeté toute faute civile à l’égard des policiers.
 
« Ce tribunal est convaincu que les policiers n’ont pas tiré à l’aveuglette et sans considération à la sécurité du public en général qui pouvait possiblement être dans les environs immédiats », écrit-elle.
 
« Vu la véritable provocation que constituait le comportement du suspect monsieur Garcia envers l’ensemble de la force policière impliquée dans le présent événement et l’ensemble du public, il aurait fallu de la part des constables Richard et Roberge un stoïcisme surhumain pour ne pas réagir instinctivement afin de protéger leur propre vie, celles de leurs collègues et du public », continue la juge de la Cour supérieure.
 
« Dieu merci, les constables Richard et Roberge étaient en mesure de riposter immédiatement et en légitime défense à l’attaque que leur faisait subir le suspect, monsieur Garcia, car ils avaient leur propre arme à feu à la main », a ajouté la juge.
 
« Quelques centimètres de plus… »
 
S’il est vrai que les interventions policières lors desquels un passant est touché par une balle perdue sont rares à Montréal, il reste que le risque qu’un tel drame se produise demeure très élevé chaque fois qu’un policier ouvre le feu dans un endroit achalandé.
 
À l’instar de l’intervention policière mentionnée ci-haut, celle survenue dans le cadre de ce qu’il convient d’appeler l’affaire Villanueva se solda aussi par un véritable bain de sang : un mort et deux blessés par balle.
 
À la différence notable que toutes les personnes touchées par balles étaient civiles. Qui plus est, aucune d’elles n’étaient armées, contrairement à l’incident survenu au centre-ville montréalais.
 
Rappelons que l’agent Jean-Loup Lapointe tira quatre balles sur trois jeunes hommes, atteignant Fredy Villanueva au thorax et à l’avant-bras gauche, Denis Meas à l’épaule droite et Jeffrey Sagor-Metellus au bas du dos, lors d’une intervention survenue dans un stationnement adjacent au parc Henri-Bourassa, à Montréal-Nord, le 9 août 2008.
 
Fredy Villanueva, 18 ans, succomba à ses blessures peu après tandis que ses compagnons Denis Meas et Jeffrey Sagor-Metellus conserveront des séquelles à vie des projectiles d’arme à feu qu’ils ont reçus.
 
Dans son rapport, l’agent Lapointe tenta tant bien que mal de justifier sa décision d’ouvrir le feu dans un endroit public. Il a même prétendu à qui voulait l’entendre que la sécurité des gens se trouvant dans les environs n’a jamais été mise en péril.
 
« Les masses des corps sur moi sont si près, que je me sais capable de les atteindre sans mettre la vie et la sécurité des gens, pouvant se trouver à l’arrière, en péril », a écrit le policier.
 
La certitude exprimée par l’agent Jean-Loup Lapointe dans son rapport quant à la précision de ses tirs ne résiste pas à l’analyse de la pathologiste Anny Sauvageau, qui mena l’autopsie sur le corps de Fredy Villanueva.
 
Durant son témoignage à l’enquête du coroner André Perreault, la docteur Sauvageau indiqua que Fredy Villanueva se trouvait non pas face, mais bien de côté à l’agent Lapointe au moment des coups de feu. Ainsi, les balles tirées par le policier sont entrées par le côté gauche du haut du corps du jeune homme.
 
Ce qui a fait dire ceci à la pathologiste : « Quelques centimètres de plus en avant, puis ça lui touche pas ».
 
On pourrait également faire une observation semblable à l’égard de la balle qui a touché Denis Meas.
 
Comme on l’a vu précédemment, lorsqu’ils font feu, les policiers sont formés à viser la surface la plus large du corps humain, soit le tronc, ou « la masse ». De toute évidence, l’épaule ne fait pas partie de cette région anatomique. Ainsi, quelques centimètres de plus en haut et la balle ne touchait pas à l’épaule droite de Denis Meas.
 
Quant à Jeffrey Sagor-Metellus, tout porte à croire qu’il venait de pivoter sur lui-même pour tourner le dos au policier au moment où il a été atteint par le projectile d’arme à feu. L’agent Lapointe a donc fait feu sur un corps en mouvement, avec tous les risques d’erreur que cela peut comporter.
 
Bref, les balles tirées par l’agent Lapointe auraient facilement pu rater les jeunes qu’il avait désignés pour cible.
 
Le cas échéant, où seraient allés les projectiles d’arme à feu ?
 
Réponse : au parc Henri-Bourassa, alors bondé de jeunes gens, incluant des familles et des enfants.
 
Tir instinctif et trajectoires déviantes
 
La question des balles perdues a été examinée plus particulièrement par l’ex-policier François Van Houtte à l’enquête du coroner sur le décès de Fredy Villanueva.
 
Reconnu comme témoin expert en emploi de la force et en utilisation de l’arme à feu par le coroner Perreault, Monsieur Van Houtte dispose d’une feuille de route hors de l’ordinaire.
 
Aujourd’hui consultant en sécurité, Monsieur Van Houtte a fait carrière à la Gendarmerie royale du Canada pendant vingt-cinq ans.
 
Il a notamment exercé les fonctions de tireur d’élite, chef d’équipe du groupe tactique d’intervention, protection rapprochée de personnalités politiques en visite au Canada (incluant les présidents américains Ronald Reagan, George Bush père et Bill Clinton) avant de devenir coordinateur et instructeur en emploi de la force au Collège canadien de police, durant les années ’90.
 
Dans son rapport de 84 pages déposé à l’enquête du coroner, Monsieur Van Houtte a accusé l’agent Jean-Loup Lapointe d’avoir « préféré être téméraire plutôt que prudent. » Le témoin-expert a plus spécifiquement condamné sa décision d’ouvrir le feu.
 
« Il a mis à risque la sécurité des citoyens en ayant aucun regard pour un groupe de jeunes qui jouaient au soccer à 30 mètres de lui, considérant qu’une balle perdue de son pistolet, ou qui manque la cible, voyage à plus de 900 pieds à la seconde », a écrit l’ancien policier.
 
Monsieur Van Houtte a eu l’occasion de préciser ses critiques à cet égard durant son témoignage à l’enquête du coroner.
 
« Je peux affirmer que son tir a été fait de façon instinctive, en aucun temps il a pris ses mires, a constaté le témoin-expert. Le fait que monsieur Lapointe est déjà en train de contrôler un suspect au sol, tire à une main, puis qui est aussi un autre facteur important à prendre en considération, ne tire pas à deux mains. »
 
« Lui-même fait la constatation qu’après avoir tiré il ne peut pas dire exactement le nombre de balles qu’il a tirées, a ajouté Monsieur Van Houtte. À partir du moment qu’il ne peut pas déterminer exactement le nombre de balles qu’il a tirées, et à partir du moment que dans sa décision il va arrêter au moment où il n’y aura plus de menace, bien, je pense que malgré l’exactitude de ses tirs il aurait pu se produire qu’effectivement une de ses balles n’atteigne pas la cible et qu’il aurait à ce moment-là constitué un danger possible ou non... mais possible, effectivement, s’il atteint pas sa cible, pour des gens autour. »
 
Par ailleurs, le fait que le policier réussisse à atteindre sa cible n’élimine pas pour autant la possibilité que le projectile d’arme à feu puisse dévier de sa trajectoire. Tel que mentionné ci-haut, l’une des balles tirées par l’agent Lapointe a effectivement traversé l’avant-bras gauche de Fredy Villanueva.
 
« Si la balle traverse l’individu à ce stade-ci et continue son parcours, il y a plusieurs facteurs qui peuvent influencer cette balle-là, a indiqué Monsieur Van Houtte. Elle peut frapper un arbre, elle peut frapper un objet, dévier de sa course, c’est très fragile à partir du moment que ça frappe un objet ou quelque chose. »
 
Le témoin-expert a également relevé qu’un arbre et un poteau se trouvant dans la bande gazonnée séparant le stationnement du parc Henri-Bourassa étaient également tous deux susceptibles de faire dévier la trajectoire d’une balle perdue.
 
Sans oublier la clôture située sur cette même bande gazonnée. « Y compris aussi, là, il y a une grande clôture de métal, là, d’environ facilement au moins dix pieds, là. N’importe quel maillon de cette clôture-là, ou poteau, aurait pu faire dévier la balle aussi », a précisé le témoin-expert.
 
Balles perdues et vies perdues
 
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les statistiques sur les balles perdues citées par Monsieur Van Houtte durant son témoignage à l’enquête Villanueva sont loin d’être rassurantes.
 
« Au niveau des statistiques on nous dit que 15 % seulement des balles tirées dans une confrontation armée qui atteignent leurs cibles, alors je pense qu’il est possible pour moi de dire que si une des balles n’avait pas atteint sa cible qu’effectivement ça pouvait causer un danger pour les gens autour, les gens sur un balcon, ou n’importe qui dans le fond qui pourrait être dans la ligne d’une balle perdue », a déclaré le témoin-expert.
 
Monsieur Van Houtte s’appuyait sur des statistiques relativement à des fusillades impliquant des agents de la police municipale de New York entre les années 1990 et 2000. Les policiers avaient tirées en moyenne 10.3 balles lors de chacun de ces incidents, soit 5.2 balles par policier. (19)
 
Les statistiques révélaient également que les balles tirées par les policiers newyorkais atteignaient la cible dans une proportion de 38 % lorsque celle-ci se trouvait à une distance se situant entre zéro et six pieds. Lorsque la distance s’élève de neuf à vingt-et-un pieds, le ratio chute à 17 %.
 
« Il y en a qui blâme, par exemple, que la formation au niveau du tir n’est pas réaliste par rapport à une confrontation armée, continue Monsieur Van Houtte. Mon opinion là-dessus est que les policiers qui se retrouvent et, encore une fois on est dans 70 % des cas, dans une distance de zéro à dix pieds maximum, on parle de trois mètres, est que les facteurs de stress et tout ce que vous voulez font que le policier manque sa cible. »
 
Aux États-Unis, les balles perdues des policiers sont à l’origine de plusieurs tragédies. Voici une liste non-exhaustive d’interventions policières lors desquelles des balles perdues ont causé des pertes en vie humaine chez nos voisins du sud :
 
- 17 février 1991 : Un policier d’une ville de banlieue de Los Angeles qui n’était pas en service a tué accidentellement sa fiancée en ouvrant le feu sur deux voleurs. Le couple venait de quitter un cinéma lorsqu’il a été approché par deux hommes, l’un d’eux portant un masque d’halloween. Une échauffourée a éclatée lorsqu’un des deux hommes a tenté de s’emparer de la sacoche de la femme. Le policier Louis Roldan a alors prit son arme de service et a tiré cinq ou six balles. Sa fiancée, Hilda Blackburn, 47 ans, a été atteinte par une balle perdue à la poitrine, causant ainsi son décès. (20)
 
- 11 août 2005 : Ji Young Kim a perdu à la fois son mari et son frère au cours d’une intervention policière dans la municipalité de Dublin, en Californie. La police était intervenue suite à un appel pour violence conjugale. En arrivant sur les lieux, Kwang Tae Lee, 61 ans, était en état d’ébriété et tenait un couteau dans les mains. Ne comprenant pas l’anglais, Monsieur Lee n’a pas obéi à l’ordre des policiers de lâcher son couteau. Les policiers ont alors tiré plusieurs balles sur Monsieur Lee, ce qui entraina sa mort. Ce faisant, une balle perdue a heurté le frère de Madame Kim, Richard Kim, tuant également celui-ci. (21)
 
- 3 août 2007 : Un policier qui tentait d’abattre un serpent non-venimeux a tiré une balle perdue qui a atteint et tué un jeune garçon âgé de cinq ans, dans la ville de Noble, en Oklahoma. Bien que le serpent ne constituait pas un danger pour quiconque, les agents Paul Bradley Rogers et Robert Shawn Richardson ont décidé d’ouvrir le feu sur l’animal. Au même moment, le jeune Austin Haley s’adonnait à la pêche avec son grand-père, Jack Tracy. Monsieur Tracy a d’abord vu et entendu une balle tomber à l’eau, à quelques mètres de l’embarcation sur laquelle il avait prit place. Lorsqu’une seconde balle a été tirée, elle a touché son petit-fils Austin Haley à la tête, tuant ainsi le jeune garçon. (22)
 
- 28 mai 2009 : Une adolescente a perdue la vie après avoir été atteinte d’une balle perdue tirée par un policier de la ville de Mesa, en Arizona. Celestina Manuel, 15 ans, se trouvait à bord de la voiture de son cousin Gumercindo Balderas, lequel cherchait à semer les policiers. Durant la poursuite automobile, l’agent Nathan Schlitz a ouvert le feu sur la voiture de Monsieur Balderas. L’une des balles a passé au travers de l’épaule de Monsieur Balderas. Un autre projectile d’arme à feu s’est logé dans le front de la jeune Manuel, provoquant sa mort. (23)
 
- 26 juin 2009 : Un policier a accidentellement tiré une balle dans la tête d’une femme enceinte qui venait d’être poignardée par son ex-conjoint à Fayetville, en Arkansas. Jill Ulmer, 26 ans, avait reçu au moins vingt-sept coups de couteau de la part de Ricky Anderson au moment de l’arrivée des agents Chris Scherrey et Ken Willyard. Monsieur Anderson se trouvait derrière un sofa et continuait à poignarder la femme lorsque les policiers ont tirés au travers de la vitre de l’appartement. L’une des balles a alors ricoché en touchant au sofa pour atteindre la tête de Mme Ulmer. (24)
 
Notons que les balles perdues peuvent également représenter un danger pour les policiers eux-mêmes, comme en font foi ces deux incident :
 
- 8 février 2009 : Un policier a écopé d’une balle perdue tirée par son partenaire durant une intervention auprès d’un jeune homme à qui l’on attribuait des idées suicidaires dans la ville de North Kingstown, dans l’État de Rhodes Island. En arrivant sur les lieux, les agents John Urban et Dan Silva sont tombés face à Mark Kilcline, 19 ans, qui tenait un couteau dans les mains. Après un recours infructueux au Taser, les policiers ont tiré dix balles, dont une au visage du jeune homme. L’une des balles tirées par l’agent Urban a atteint son collègue Silva à l’avant-bras droit. Kilcline a quant à lui survécu à ses blessures, mais a perdu l’usage d’un œil. (25)
 
- 3 décembre 2010 : Un policier renversé par un véhicule en fuite a été atteint par une balle tirée par son collègue, à Sevran (Seine-Saint-Denis), en France. Deux policiers de la Brigade anti-criminalité pratiquaient un « contrôle de sécurisation » dans un secteur de Sevran réputé pour son narcotrafic lorsqu’une voiture aurait foncé en leur direction. Un policier qui venait de faire feu sur la voiture a été percuté par celle-ci. Des cinq balles tirées par les deux policiers, aucune d’elle n’ont atteint les occupants du véhicule. L’une de ces balles s’est toutefois logée dans la mâchoire de ce policier qui a été fauché par la voiture, l’obligeant à subir « de longs mois de chirurgie réparatrice ». (26)
 
Désarmer les policiers ?
 
Il n’y a pas 36 000 façons de réduire au minimum le risque de balle perdue lors d’interventions policières. En retirant les armes à feu des mains des policiers patrouilleurs, on vient de régler le problème à la racine, tout simplement.
 
« La plupart des policiers, tous corps confondus, ne tireront pas un seul coup de fusil dans toute leur carrière et ça aussi, il faut en tenir compte », disait récemment le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil. (27)
 
Si les armes à feu sont autant sous-utilisées par les policiers, raison de plus pour les en débarrasser. 
 
Désarmer tous les policiers est sans doute une proposition utopique.
 
Ce qui ne l’est pas, c’est de retirer les armes à feu aux policiers qui patrouillent les rues et qui sont quotidiennement en contact avec les citoyens.
 
Il y a une douzaine d’années, la Force constabulaire royale de Terre-Neuve (FCRTN) était le seul corps policier en Amérique du nord qui interdisait encore à ses membres de porter une arme à feu dans le cadre de leurs fonctions.
 
En juin 1998, le gouvernement de Terre-Neuve a cependant cédé aux pressions du syndicat policier en autorisant les policiers de la FCRTN à porter une arme à feu en tout temps durant leur travail, mettant ainsi fin à mit fin à une tradition vieille de 127 ans héritée des « Bobbies » britanniques. (28)
 
Deux ans plus tard, des agents de la FCRTN ont abattu mortellement un homme, une première dans l’histoire de ce corps policier fondé en 1871. (29)
 
Darryl Power, 23 ans, un homme avec un historique de problèmes de santé mentale, a été abattu par l’agent Fred Roche de la FCRTN, à Corner Brook, le 16 octobre 2000. (30)
 
Pendant ce temps, la plupart des « Bobbies » de la police métropolitaine de Londres continuent de patrouiller les rues sans porter d’armes à feu. 
 
Madame Mali Ilse Paquin, correspondante de La Presse à Londre, croit que l’intervention policière qui a couté la vie à Mario Hamel et Patrick Limoges aurait pu connaître une issue différente si elle avait eu lieu dans les rues de la capitale britannique.
 
« Les choses se seraient sans doute déroulées différemment à Londres, pour la simple et bonne raison qu’ici, les policiers ne se baladent pas avec des armes à feu, écrit-elle sur son blogue. Seules des unités spéciales peuvent être armées. En temps normal, une réponse policière est adaptée à la gravité d’une situation. Sinon, c’est bâton, menottes et poivre de Cayenne. » (31)
 
D’autres corps policiers refusent également d’équiper leurs policiers patrouilleurs d’armes à feu.
 
En Ireland, les agents en uniforme de la police nationale (An Garda Síochána) ne portent pas d’arme à feu. (32)
 
En Islande, les policiers ont pour seules armes une matraque et du gaz irritant (mace). (33)
 
En Norvège, les policiers ne portent pas d’arme à feu sur eux et doivent demander la permission à leur supérieur lorsqu’ils sentent le besoin de s’en servir. (34)
 
En France, plus de la moitié (60%) des 3500 corps policiers municipaux ne sont pas équipés d’armes à feu. (35)
 
Enfin, au Japon, la plupart des policiers ont pour seule arme une grande matraque.
 
Naturellement, il serait naïf de penser que le retrait des armes à feu des mains des policiers patrouilleurs fera automatiquement disparaître les bavures policières.
 
N’oublions pas que les policiers impliqués dans les décès de Richard Barnabé, Jean-Pierre Lizotte et Michel Berniquez sont intervenus à mains nue et n’ont donc tiré aucune balle.
 
Si le désarmement des policiers patrouilleurs ne résoudra pas nécessairement le problème de la brutalité policière, on peut au moins espérer qu’il sauvera des vies.
 
 
Sources :
 
(2) Affaires Plus, « La dépression, le mal-être du 21e siècle », Marie-Ève Cousineau, Janvier 2007, p. 48.
(10) Le Journal de Montréal, « Le suspect avait l'air de Rambo », 7 septembre 1989, p. 8.
(11) Le Journal de Montréal, « "Il m’a touché" - l'agent Richard », Claude Decotret, 8 septembre 1989, p. 7.
(12) La Presse, « Un homme est abattu après avoir blessé un policier et un passant, rue Stanley », Suzanne Colpron, 8 octobre 1988, p. A3.
(13) The Gazette, “When will shooting victim have his day in court?”, Jack Todd, October 5 1991, p. A3.
(14) Op. cit.
(15) The Gazette, “It takes months for official story to be made public”, Peter Kuitenbrouwer, April 22 1989, p. A1.
(16) The Gazette, “Police fired toward bystanders during shootout, witness says”, Michael Doyle and Alexander Norris, October 11 1988, p. A5.
(17) The Gazette, “Time on officer's side: watch deflected gunman's bullet”, Alexander Norris, October 9 1988, p. A3.
(18) Op. cit.
(20) The Edmonton Journal, “Policeman accidentally shoots fiancee while firing at thieves”, Cheryl W. Thompson, February 19 1991, p. B11.
(28) The Ottawa Citizen, “Newfoundland police pack pistols”, Pat Bell, June 16 1998. p. E8.
(29) The Telegram, “Constabulary's top gun makes case for sidearms”, Gary Hebbard, February 5 1998, p. 3.
(30) The Telegram, “Man dies in RNC shooting”, Machelle Curtis, October 17, 2000, p. 1.
(35) L'Humanité, « Le syndicat qui veut armer tous les policiers municipaux », Mehdi Fikri, 17 juin 2011.