Bye bye Éclipse!

« Retour au Far-West » : à en croire Le Journal de Montréal, la disparition de l’escouade ÉCLIPSE du Service de police de la ville de Montréal serait synonyme de catastrophe. Le ton donné à l’article était parfois digne d’une campagne de peur. (1)

« Le crime organisé québécois a déjà reçu son cadeau de Noël », lit-on également. Les mots de certains journalistes ne semblent pas assez forts pour souligner les conséquences désastreuses qui guetteraient la collectivité montréalaise avec la suppression de l’escouade ÉCLIPSE, dont l’obscur acronyme signifie officiellement Équipe corporative de lutte, d'intervention et de prévention des situations émergentes.

« L’escouade Éclipse est menacée », titre un article paru dans La Presse.(2)

Comme si ÉCLIPSE était une espèce animale en voie d’extinction.

Malgré son extrême laideur (méthodes musclées, profilage racial, etc.), l’escouade controversée accomplirait un travail utile pour le bien commun en harcelant d’autres formes de vie encore plus repoussantes.

Pourtant, il suffit de regarder un tant soi peu de près les chiffres officiels d’ÉCLIPSE pour s’interroger sur le réel bilan de son travail.

En 2012, ÉCLIPSE a enquêté sur 3500 personnes et en a arrêté près de 500, a rapporté le journaliste Daniel Renaud de La Presse.

En d’autres mots, les policiers d’ÉCLIPSE avaient déniché un motif d’arrestation pour seulement une interpellation sur sept. C’est donc dire que 3000 personnes se sont faits écoeurés par les flics d’ÉCLIPSE sans motif légal justifiant une arrestation.

Quand ÉCLIPSE fait une partie de pêche, force est de constater que ses filets ratissent larges.

Et la pêche de 2012 est loin d’avoir été particulièrement miraculeuse : une douzaine d’armes à feu, une dizaine d’armes blanches et sept gilets pare-balles, rapporte La Presse. Si c’est tout ce qu’ÉCLIPSE a pu saisir en procédant à 500 arrestations dans les milieux soi-disant criminalisés, alors ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler la mère à boire.

Quand ÉCLIPSE s’invite aux shows de hip-hop

Lorsque les apologistes d’ÉCLIPSE vantent ses brillants exploits, ils passent curieusement sous silence un volet des activités de l’escouade généralement méconnu du grand public et occulté par les médias : le harcèlement de milliers de citoyens, pour la plupart issus de communautés racisées, dont le seul « crime » apparent est de vouloir assister à un spectacle de hip-hop.

Dimanche, le 28 Octobre 2012. La salle de spectacle l’Olympia, située au 1004 Sainte-Catherine Est, entre Amherst et St-Timothée, accueillait l’artiste hip-hop américain 2 Chainz.

Vers 21h30, la foule, composée dans sa quasi-totalité de jeunes Noirs, formait une file d’attente qui s’étendait tout le long du trottoir de la rue Ste-Catherine et débordait sur St-Timothée sur quelques 10 mètres plus au sud, vers le boulevard René-Levesque.

Cinq grands gaillards corpulents surveillaient la foule de près, à l’entrée de l’Olympia, pour le compte d’une agence de sécurité privée. Quatre d’entre eux portaient des casques de type militaires et un cinquième tenait en laisse un berger allemand.

À ce dispositif de sécurité déjà impressionnant s’ajoutait la présence imposante d’une énorme quantité de policiers d’ÉCLIPSE, tous des Blancs. Plus de dix véhicules de patrouille identifiés à l’escouade étaient mobilisés alentour des lieux.

Les policiers d’ÉCLIPSE, assez costauds eux aussi, se déplaçaient beaucoup, toujours en groupes de trois ou de quatre, mais de façon générale, il y avait un attroupement permanent d’un minimum de 10 agents à l’intersection Ste-Catherine/St-Timothée.

Les groupes de policiers suivaient les gens ou les regardaient d’une façon très envahissante et autoritaire. Ils approchaient les gens d’une manière particulièrement hostile, en parlant fort, pour leur demander de s’identifier ou de vider leurs poches.

À un moment donné, des policiers ont interpellé des gens, encore une fois d’une façon très autoritaire, simplement parce qu’ils avaient traversés la rue à pied à un autre endroit qu’à l’intersection.

Chaque fois que des gens étaient admis à l’intérieur de l’Olympia, les colosses de la sécurité privée se dirigeaient vers les gens dans la file en criant et en les pressant. De temps en temps, le cinquième agent de sécurité approchait son clébard des gens.

Bref, la tension dans la rue était palpable, et ce n’était pas du fait de la foule, qui est demeurée parfaitement docile tout au long de la soirée dans cette ambiance oppressante.

À un moment, un policier a adressé la parole à un jeune homme qui fumait une cigarette devant une pizzéria située de l’autre côté de la rue Ste-Catherine, à l’angle de St-Timothée, pour lui dire ceci : « Ici, au Canada, on ne fume pas devant les restaurants ». Et le gars de répondre, mi étonné mi sérieux: « Je peux même pas fumer ». Trois policiers l’ont ensuite approché pour lui demandé de s’identifier.

Selon toute vraisemblable, il s’agirait-là d’une des quelques 3500 personnes enquêtées par ÉCLIPSE au cours de l’année 2012.

Les policiers n’ont apparemment procédé à aucune arrestation ce soir-là. L’escouade ÉCLIPSE est donc repartie bredouille, sans avoir trouvé d’armes à feu, d’armes blanches ou de gilets pare-balles… mais sans doute avec le réconfortant sentiment du devoir accompli.

Soulignons que la « performance » d’ÉCLIPSE en marge du spectacle de 2 Chainz n’avait rien d’exceptionnel.

Des scènes similaires avaient en effet pu être observées lorsque les policiers d’ÉCLIPSE s’étaient déployés à l’occasion du spectacle de Tyga, un autre artiste hip-hop américain, à l’Olympia, le 16 juillet 2012.

Il y a fort à parier que les amateurs montréalais de hip-hop ne risquent pas de regretter la disparition d’ÉCLIPSE.

Bye bye ÉCLIPSE !

 

Sources :

(1) http://www.journaldemontreal.com/2012/11/08/retour-au-far-west

(2) http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/justice/201301/01/01-4607703-lescouade-eclipse-est-menacee.php