La CRAP dénonce la loi-matraque du gouvernement Charest

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La Coalition contre la répression et les abus policiers ne peut rester silencieuse face à l’adoption, à toute vapeur, de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent (loi 78) par le gouvernement libéral de Jean Charest, avec l’appui des députés de la Coalition pour l’avenir du Québec, le 18 mai 2012.

D’une part, la loi 78 constitue une limitation sans précédent aux droits à la liberté d’expression et à la réunion pacifique, et, d’autre part, elle prévoit un accroissement sans commune mesure des pouvoirs de la police à l’endroit des manifestants.

La loi en résumé

La loi 78 interdit « toute de forme de rassemblement qui pourrait avoir pour effet d’entraver » l’accès d’une personne à un lieu où elle a le droit ou le devoir d’accéder pour y bénéficier des services d’un établissement ou pour y exercer des fonctions, et ce, dans un rayon de 50 mètres des limites externes du terrain où est situé un édifice où sont dispensés des services d’enseignement par un établissement (article 14).

Elle interdit également à quiconque « [d’]entraver le droit d’un étudiant de recevoir l’enseignement dispensé par l’établissement d’enseignement qu’il fréquente, faire obstacle ou nuire à la reprise ou au maintien des services d’enseignement d’un établissement » ou à l’exécution par les membres du personnel d’un établissement d’enseignement de leur prestation de travail relative à ces services, « ni contribuer directement ou indirectement à ralentir, altérer ou retarder la reprise ou le maintien de ces services ou l’exécution de cette prestation » (article 13).

La loi oblige par ailleurs les associations étudiantes et les fédérations d’associations étudiantes à « prendre les moyens appropriés pour amener les étudiants qu’elle représente à ne pas contrevenir aux articles 13 et 14. » La loi créée également une obligation similaire à l’égard des associations de membres du personnel d’un établissement d’enseignement (article 15).

L’article 26 de la loi prévoit des amendes faramineuses.

Ainsi, toute infraction aux articles 13, 14 et 15 de la loi est punie par une amende allant de 1000 $ à 5000 $.

L’amende s’élève toutefois de 7000 $ à 35 000 $ lorsque l’infraction a été commise par un dirigeant, un employé ou un représentant, incluant un porte-parole, d’une association d’étudiants, d’une fédération d’associations ou d’une association de membres du personnel d’un établissement d’enseignement, un dirigeant ou d’un représentant d’un établissement ou une personne physique qui organise une manifestation.

L’amende passe de 25 000 $ à 125 000 $ lorsqu’elle a été commise par une association d’étudiants, une fédération d’associations, une association de membres du personnel d’un établissement d’enseignement, une personne morale, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation.

Enfin, les montants d’amende doublent en cas de récidive.

De plus, la loi donne au ministre de l’Éducation le pouvoir d’ordonner à l’établissement d’enseignement de cesser «  de percevoir la cotisation fixée par cette association d’étudiants ou par toute association d’étudiants qui lui succède et de lui fournir gratuitement un local, du mobilier, des tableaux d’affichage et des présentoirs » lorsqu’il constate qu’une association d’étudiants est responsable d’une situation où l’établissement d’enseignement n’est plus en mesure de dispenser les services d’enseignement à des étudiantes qui y ont droit (article 18).

La loi stipule par ailleurs qu’un étudiant représenté par une association d’étudiants sujette à une ordonnance du ministre mentionnée ci-haut « n’est pas tenu de payer une cotisation, une contribution ou une autre somme d’argent en tenant lieu, à cette association d’étudiants, à toute association d’étudiants qui lui succède ou à un tiers à l’acquit de l’une et l’autre » (article 19).

La loi indique de plus que, lorsque le ministre de l’Éducation constate « qu’il y a eu manquement de la part d’une fédération d’associations à une obligation prévue par la présente loi et que ce manquement a eu pour effet d’entraver des services d’enseignement dispensés à des étudiants qui y ont droit », il peut alors ordonner « à toute association d’étudiants de cesser de verser toute cotisation, contribution ou autre somme d’argent en tenant lieu à cette fédération d’associations qui lui succède ou à un tiers à l’acquit de l’une et l’autre » (article 20).

La loi prévoit des amendes allant de 25 000 $ à 125 000 $ pour tout établissement qui ne se conformera pas à un ordre du ministre de l’Éducation prévu à l’article 18, et pour toute association d’étudiants qui ne se conformera pas à un ordre du ministre de l’Éducation prévu à l’article 20.

Les manifestations mis à l’amende

Mais la portée de la loi 78 déborde bien au-delà de la grève générale étudiante qui secoue le Québec depuis maintenant trois mois.

Le droit de manifester pacifiquement est directement attaqué, et ce, indépendamment du fait qu’il soit exercé ou non en relation avec la présente grève générale étudiante.

La loi stipule en effet que toute personne, organisme ou groupement « qui organise une manifestation de 50 personnes ou plus qui se tiendra dans un lieu accessible au public » doit « fournir par écrit au corps de police desservant le territoire où la manifestation aura lieu » la date, l’heure, la durée, le lieu ainsi que, le cas échéant, l’itinéraire de la manifestation, ainsi que les moyens de transport utilisés à cette fin, et ce, au moins 8 heures avant le début de celle-ci (article 16).

La loi donne de plus à la police le pouvoir « [d’]exiger un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire projeté afin de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique » lorsque « le lieu ou l’itinéraire projeté comporte des risques graves pour la sécurité publique » (article 16).

On imagine facilement comment un changement de lieu ordonné à la dernière minute par un corps policier pourrait désorganiser une manifestation.

Par ailleurs, la loi prévoit « [qu’]une personne, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation ainsi qu’une association d’étudiants ou une fédération d’associations qui y participe sans en être l’organisateur doit prendre les moyens appropriés afin que la manifestation se tienne conformément aux renseignements » mentionnés ci-haut (article 17).

Notons que la loi prévoit les mêmes montants d’amendes indiqués à l’article 26, lesquels ont déjà été mentionnés ci-haut, pour toute infraction aux articles 16 et 17.

Ainsi, un groupe comme la CRAP pourrait par exemple se voir une imposer une amende de 125 000 $ pour une première offense, et d’un quart de million de dollars pour une seconde offense, s’il refuse de communiquer le trajet de sa manifestation au Service de police de la ville de Montréal.

Enfin, la loi stipule que « quiconque aide ou amène une personne à commettre une infraction visées par la présente loi commet lui-même cette infraction » et est passible des amendes prévues à l’article 26 (article 30).

Ainsi, une personne qui en inviterait une autre à désobéir à cette nouvelle loi pourrait être punie de la même façon que si elle avait contrevenu elle-même à ladite loi.

La permission d’interdire

Face à cette surenchère sécuritaire, les autorités policières montréalaises ont cherchées à se faire rassurantes.

La loi 78 sera appliquée avec « discernement », dit-on au SPVM.

Le lendemain de l’adoption de la loi,  le site web du SPVM laissait ainsi entendre que les manifestants pacifiques pourraient être épargnés, comme l’a relevé le journaliste de La Presse, Philippe Teisceira-Lessard.

« Les perturbateurs doivent donc être exclus de ces manifestations, et ce, afin que ceux et celles qui veulent être entendus puissent le faire pacifiquement, lit-on sur le site web du SPVM. Le SPVM continuera donc à cibler les perturbateurs et il adaptera ses processus d'intervention dans ce sens. »

Doit-on comprendre ici que le SPVM va se servir de cette loi uniquement aux fins de s’en prendre aux casseurs ?

Si c’est le cas, alors à quoi sert donc cette nouvelle loi, puisque les actes de vandalisme sont déjà prohibés par le Code criminel, sans parler des émeutes et des attroupements illégaux ?

Il va sans dire que cette nouvelle loi provinciale n’interdit pas ce qui est déjà interdit par une loi fédérale, ce qui serait de toute façon… interdit (en vertu de la doctrine de l’ultra vires).

Non, cette loi créée de nouveaux interdits.  

Tenir une manifestation sans que son lieu, sa date, son heure, sa durée et son itinéraire n’aient été communiqué à la police devient une infraction, et ce, peu importe si les manifestants se sont comportés de façon plus catholiques que le pape… ou plus pacifiques que le Mahatma Gandhi et le Dr. Martin Luther King réunis ensembles.

Bref, nous voilà confrontés à une nouvelle réalité.

Désormais, tous les corps policiers à la grandeur du Québec disposent du pouvoir d’empêcher les manifestants pacifiques d’exercer leurs droits constitutionnels à la liberté d’expression et à la réunion pacifique.

Il va sans dire que quand la police obtient le pouvoir d’empêcher la dissidence de manifester pacifiquement, la société glisse dangereusement vers le totalitarisme.

Combien de gens interpréteront-ils les restrictions au droit de manifester pacifiquement comme étant une incitation à exprimer leur opposition à l’autorité de l’État par la violence ?

En conférence de presse, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a souligné le fait que les dispositions de la loi 78 relatives aux manifestations seraient comparables avec celles en vigueur en France, en Suisse et aux États-Unis.

Or, le ministre Dutil semble comparer les pommes avec les oranges, car le cadre juridique applicable dans ces endroits n’est évidemment pas le même qu’au Canada, où la Charte canadienne des droits et liberté élève le droit à la réunion pacifique au rang de droit constitutionnel.

Ceux qui ont encore un peu foi dans notre système de justice diront que de nombreuses dispositions de la loi 78 risquent fort bien d’être invalidées par les tribunaux lorsqu’elles seront examinées à la lumières des garanties constitutionnelles offertes par la Charte.

Cela pourrait toutefois représenter une bien mince consolation pour les centaines, sinon les milliers, de manifestants qui auront été arrêtés en vertu de cette loi pour avoir participé à des manifestations interdites d’ici à ce que les tribunaux en viennent à constater le caractère grossièrement anticonstitutionnel de ces dispositions.

Une histoire de gros sous ?

Il y a quelques semaines, La Presse révélait qu’en date du 27 avril dernier, le SPVM avait consacré l’équivalent de 69 100 heures de travail en interventions en tout genre reliées au conflit étudiant, dont le tiers en heures supplémentaires. À ce moment-là, la facture pour les heures supplémentaires frôlait à elle seule la somme de 1,7 million $.

Réal Ménard, vice-président de la Commission de la sécurité publique, a fait part à La Presse de ses inquiétudes quant au fait que les ressources du corps policier montréalais seraient déjà utilisées au maximum dans ce conflit. « Dans mon quartier, il y a normalement trois duos de policiers. Présentement, il y en a un seul pour répondre aux urgences. Il y a des limites à ce que peut faire le SPVM », a déclaré M. Ménard, qui est aussi le maire d’arrondissement d’Hochelaga-Maisonneuve.

Si l’on lit entre les lignes, on peut comprendre que les manifs à répétition coutent trop cher à la ville et que le SPVM s’approche du point de saturation en termes de la disponibilité de ses ressources.

Le gouvernement Charest a donc répondu à l’appel à l’aide des autorités municipales en donnant aux corps policiers tous les pouvoirs nécessaires pour restreindre le droit de manifester pacifiquement.

Voilà qui ne va pas sans rappeler les circonstances entourant l’adoption du  Règlement concernant certaines mesures exceptionnelles pour assurer aux citoyens la paisible jouissance de leurs libertés, réglementer l'utilisation du domaine public et prévenir les émeutes et autres troubles de l'ordre, de la paix et de la sécurité publics (le règlement 3926), par le conseil de ville de Montréal, le 12 novembre 1969.

Ce règlement, qui est d’ailleurs l’ancêtre du fameux règlement P-6 récemment modifié, donnait notamment le pouvoir au conseil exécutif de la ville de Montréal d’adopter une ordonnance interdisant « toute assemblée, défilé, attroupement sur le domaine public. » D’où son surnom de « règlement anti-manifestation. »

Lors de la séance du 12 novembre 1969, le directeur du SPVM de l’époque, Jean-Paul Gilbert, avait fait valoir aux élus du conseil municipal que le nombre de manifestations atteignait des sommets dans la grande métropole :

Depuis le début de l’année 1969, il y eut 97 manifestations, à Montréal, dont 21 depuis le début d’octobre à ce jour. Certaines de ces manifestations ont attiré plusieurs milliers de manifestants qu’il nous a fallu contrôler. A quatre reprises, depuis le 1er octobre 1969, nous avons dû mobiliser plus de 800 policiers lors de manifestations.

Les manifestations, pour toutes sortes de causes ou de motifs, se sont multipliées à un rythme tel que nous évaluons, sur une base annuelle moyenne, à 20% le nombre d’homme/jour du Service de la Police de Montréal requis pour contrôler ces manifestations.

Si l’on considère le coût de ces manifestations en salaires versés aux policiers en devoir lors de ces occasions, nous avons évalué les salaires versés en temps supplémentaire à environ $3,000 l’heure.

Si l’on considère le coût à temps régulier des forces policières attachées à la préparation des services d’ordre et à l’exécution des opérations policières lors des manifestations, il en résulte une dépense pour l’Administration municipale que nous évaluons sur une base annuelle à environ $7,000,000.

Cette description de l’état des lieux quant aux mouvements sociaux ressemble étrangement à la situation que nous vivons présentement avec les manifestations nocturnes qui agitent les rues de Montréal depuis plusieurs semaines.

Ainsi, en 1969 comme en 2012, les autorités politiques se montrent prêtes à bafouer le droit de manifester pour une histoire de gros sous.

L’histoire serait-elle en train de se répéter, comme un vieux disque usé qui saute ?

Or, il s’agirait là d’un bien piètre usage de la logique comptable.

Lors de la présentation des prévisions budgétaires du corps policiers montréalais pour l’année 2012, on apprenait que 91 % de l’enveloppe budgétaire (602,8 M$) du SPVM sera consacrée à la masse salariale de ses employés civils et policiers.

Voilà qui représente plus d’un demi-milliard de dollars (548 000 000 M$).

Ce n’est donc pas l’exercice du droit de manifester qui coûte une fortune, mais bien plutôt les salaires mirobolants des policiers du SPVM qui leur ont été octroyés par les élus montréalais !