Retrait de l'enquête sur la mort de Fredy Villanueva : la CRAP explique ses motifs au coroner ad hoc Robert Sansfaçon

Monsieur le coroner ad hoc,

          Comme vous le savez, le 20 février 2009, nous avions demandé d'être reconnu comme personne intéressée à l'enquête sur le décès de Fredy Villanueva. 

          En guise de réponse, votre procureur désigné, Me François Daviault, nous avait demandé d'expliquer de quelle façon nous entendions participer à l'enquête.

          Nous nous étions plié à cette demande et avions précisé nos intentions, même si nous étions convaincu que notre demande initiale était suffisamment claire à cet égard.

          Vous avez attendu jusqu'au 4 mai 2009, soit deux mois et demi après que nous vous ayons envoyé notre demande, pour rendre votre décision qui fut de nous reconnaître comme personne intéressée à l'enquête.

          Le moins que l'on puisse dire, c'est que votre décision est tombée de façon tardive. La longueur de votre délai de réponse n'a fait que confirmer le sentiment qui nous habitait depuis le début, à savoir que nous n'étions pas les bienvenus dans cette enquête.

          Par ailleurs, le fait que nous ayons été reconnu comme personne intéressée à seulement vingt jours d'avis avant le début des auditions a évidemment eu pour effet de rendre notre participation moins efficace à l'enquête. En effet, cela ne nous laissait qu'une période de temps très minimale pour prendre connaissance de la preuve volumineuse au dossier, en faire l'analyse et préparer nos interventions en conséquence.

          Cela étant, le problème principal que nous éprouvons envers l'enquête ne se situe pas là : il tient plutôt dans le fait que ceux qui sont les plus directement touchés par l'objet de l'enquête elle-même, c'est-à-dire les membres de la famille Villanueva, ont perdu toute confiance à l'égard de cet exercice que vous allez présider à partir du 25 mai.

          Vous n'êtes pas sans savoir que le lien de confiance avait commencé à s'effriter dès la fin du mois de janvier 2009, lorsqu'il fut révélé que le gouvernement du Québec avait brisé un engagement qu'il avait pris auprès des familles Villanueva, Méas et Sagor-Métellus à l'effet qu'il assumerait le coût de leurs frais de représentation légale durant l'enquête.

           S'il est incontestable que cette décision ne relevait pas de vous, monsieur le coroner ad hoc, il n'en demeurait pas moins qu'elle eut un impact direct sur l'enquête puisqu'elle en affectait sa crédibilité. 

          En effet, la décision du gouvernement de ne pas assumer les honoraires d'avocats des trois familles des victimes lors d'une enquête où les intérêts des policiers seront défendus par six avocats chevronnés posait et pose toujours un problème évident au niveau de l'équité procédurale.

          Voyant la tournure des événements, la Coalition contre la répression et les abus policiers décida de prendre un rôle pro-actif afin d'éviter que l'enquête ne  sombre dans l'insignifiance complète.

          Puisque la famille Villanueva avait perdu confiance envers le ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis, nous décidâmes alors de lancer une campagne visant à solliciter l'intervention de son supérieur immédiat, le premier ministre du Québec Jean Charest.

          En tout, près de cinquante organismes de différents horizons, incluant Amnistie international, la Fédération des femmes du Québec, le RAPSIM et Québec Solidaire, répondirent à l'appel d'écrire des lettres adressées au premier ministre Charest exprimant leur soutien aux Villanueva et demandant à ce que les familles des victimes puissent bénéficier de moyens équivalent à ceux des policiers lors de l'enquête.

          Nous avons eu confirmation que le premier ministre Charest a bel et bien pris connaissance des quarante-sept (47) lettres qui lui ont été envoyées en liasse à son bureau. Malheureusement, monsieur Charest n'a posé aucun geste pour résoudre la question cruciale du déséquilibre de la représentation juridique des parties à l'enquête et on nous a affirmé à son cabinet qu'il n'est pas dans son intention de le faire.

          En dépit des efforts de la Coalition, le problème qui minait la crédibilité de l'enquête est donc demeuré entier, ce qui n'incitait en rien les Villanueva à trouver un quelconque intérêt à participer dans un tel exercice.

          Toutefois, nous regrettons de devoir porter à votre attention le fait que nous sommes d'avis que vous n'avez malheureusement rien fait vous-même, monsieur le coroner ad hoc, pour aider les membres de la famille Villanueva à regagner confiance dans l'enquête.

          Au contraire même, nous croyons que l'attitude intransigeante dont vous avez fait preuve lors des discussions préliminaires au début de l'audition du 8 avril 2009 a nettement eu pour effet d'exacerber le sentiment de méfiance qui s'était déjà installé, conduisant ainsi au départ soudain en pleine audience des membres de la famille Villanueva, de leurs avocats et de leurs proches.

          Nous devons aussi vous faire part du fait que votre décision relativement aux requêtes demandant une ordonnance de non-publication des deux témoins-policiers, Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilote, nous a terriblement déçus, et ce, pour un certain nombre de raisons.

          Tout d'abord, parmi les motifs de votre décision, vous avez mentionné que vous considériez qu'il était dans l'intérêt de l'administration de la justice que le policier qui a enlevé la vie à Fredy Villanueva, l'agent Jean-Loup Lapointe, puisse témoigner à l'enquête avec une « certaine sérénité ».

          Vous nous avez laissé l'impression que vous vous préoccupiez davantage de l'état d'esprit du policier Lapointe plutôt que de celui des membres de la famille Villanueva, dont le départ précipité de la salle d'audience semblait vous avoir laissé parfaitement indifférent puisque vous avez continuer à procéder comme si de rien n'était.

          Vous avez également accordé la requête de l'agente Stéphanie Pilote même si vous reconnaissiez qu'il y avait une absence totale de preuve de menace spécifique à son égard, ce qui nous ai apparu comme étant une décision qui était clairement inapproprié.

          Par ailleurs, pendant que vous rendiez les motifs de votre décision, vous avez dit, et je vous cite : « je déborde évidemment de la preuve mais je me dois de le faire ».

            Or, durant la première partie de la journée, vous ne cessiez d'insister auprès de Me Philippe Robert de Massy, avocat de la Ligue des droits et liberté, pour dire que vous n'aviez aucune connaissance de la preuve qui sera entendue à l'enquête afin de justifier votre refus de vous prononcer sur la requête de la Ligue, qui portait sur la définition de votre mandat.

          Nous avons du mal à comprendre comment se fait-il que ce qui était bon pour les témoins-policiers ne l'était pas pour la Ligue des droits et libertés.

          Lorsque nous additionnons tous ces éléments ensembles, nous éprouvons des difficultés à nous défaire de la désagréable impression que vous êtes animé d'un parti-pris en faveur de la police.

          Ce sentiment, ajouté au problème d'équité procédurale qui mine l'enquête, rend impossible notre participation à l'enquête.

          Compte tenu du fait que vous ne nous avez pas laissé suffisamment de temps pour que notre participation à l'enquête puisse être efficace, compte tenu du fait que le gouvernement n'a rien fait pour rendre l'enquête crédible, compte tenu du fait que vous n'avez rien fait pour donner confiance aux Villanueva, et compte tenu de notre désir de demeurer solidaires des Villanueva, nous sommes dans l'obligation de vous annoncer notre retrait de l'enquête.