Un DPCP allergique à la transparence

La Commission d’accès à l’information sera bientôt appelé à se prononcer sur la question de savoir si les décisions prises par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans des cas décès de citoyens aux mains de la police peuvent être accessibles au public.

En effet, l’année dernière, un militant a adressé une demande d’accès à l’information  au DPCP visant à obtenir une copie des décisions qu’il a rendu relativement à treize incidents lors desquels des citoyens ont perdu la vie lors d’interventions d’agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Le DPCP a accepté de transmettre au demandeur une copie de son communiqué de presse annonçant sa décision de ne porter aucune accusation contre les agents du SPVM impliqués dans l’intervention policière ayant couté la vie à Mario Hamel et Patrick Limoges, le 7 juin 2011.

Le document laconique ne répondait cependant pas à la demande d’accès puisqu’il n’indiquait pas les motifs expliquant la décision du DPCP ne blanchir les policiers du SPVM dans cette affaire.

Le DPCP a refusé de communiquer quelque autre document que ce soit, en invoquant les articles 14, 31, 53, 54 et 59 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels, de même que l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui traite du secret professionnel.

Notons que l’article 31 de loi sur l’accès à l’information n’a pas un caractère impératif puisqu’il stipule que l’organisme public peut – et non doit - refuser de communiquer une opinion juridique.

On est donc en droit de conclure que la loi sur l’accès à l’information n’interdit en aucune façon au DPCP de communiquer ses opinions juridiques aux citoyens qui en font la demande.

La décision du DPCP de refuser la totalité des documents faisant l’objet de la demande d’accès apparaît d’autant plus difficilement justifiable que le DPCP a lui-même renoncé au « secret professionnel » relativement à au moins deux des treize décisions faisant l’objet de la demande d’accès à l’information.

Ainsi, la décision rendue par le DPCP en novembre 2006 relativement à l’intervention policière qui a couté la vie à Mohamed Anas Bennis a été déposée en preuve lors de l’enquête publique menée par la coroner Catherine Rudel-Tessier relativement à cette affaire.

On se rappellera aussi que le DPCP a participé à une conférence de presse dans l’allée des huissiers du Palais de justice de Montréal, le 1er décembre 2008, et diffusée en direct sur le réseau LCN, lors de laquelle l’un de ses procureurs, Me François Brière, a expliqué en long et en large pourquoi aucune accusation criminelle n’avait été retenue contre les deux constables impliqués dans l’intervention policière qui s’est soldée par le décès du jeune Fredy Villanueva.

Ce rare exercice de transparence n’est d’ailleurs pas passée inaperçue auprès de la Protectrice du citoyen, qui en a fait état dans un rapport spécial déposé en février 2010 :

Dans le cas de l’affaire Villanueva, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a adopté une attitude plus transparente en divulguant publiquement de nombreux détails sur les témoignages recueillis et sur les motifs ayant mené à la décision de ne pas porter d’accusation. Cela constitue par contre une exception aux manières de faire habituelles et demeure une décision discrétionnaire.

En rendant public les motifs de ses décisions dans les dossiers Anas Bennis et Villanueva, le DPCP a manifestement renoncé de facto au « secret professionnel » et au « privilège du poursuivant » qu’il invoque en soutien à son refus de satisfaire la demande d’accès.

Comment, alors, le DPCP peut-il concilier la divulgation publique de ses motifs dans les affaires Anas Bennis et Villanueva avec son refus de communiquer des copies des décisions qu’il a rendu dans ces deux dossiers ?

Il est grand temps que le DPCP réalise que son penchant pour le secret et son manque de transparence est non seulement dépassé, mais aussi contraire à l’intérêt public, comme l’a elle-même relevé la Protectrice du citoyen dans son rapport spécial précité :

Généralement, peu de détails sont fournis concernant les motifs justifiant une décision de ne pas déposer d’accusation. Toutefois, le Directeur des poursuites criminelles et pénales peut, dans l’exercice de sa discrétion et lorsqu’il juge que les circonstances le justifient, exposer les raisons au soutien de sa décision d’entreprendre ou non des poursuites criminelles. D’ailleurs, dans l’affaire Villanueva, les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales ont apporté plusieurs précisions sur les versions des faits retenus et les motifs au soutien de la décision de ne pas déposer d’accusation contre les policiers faisant l’objet d’une enquête.

Cette plus grande transparence exercée dans le cadre de l’affaire Villanueva nous indique qu’une fois l’enquête terminée, il est dans l’intérêt du public, ainsi que dans celui du policier visé par l’enquête, que les motifs de la décision de ne pas déposer d’accusation soient suffisamment expliqués pour rassurer le public sur la rigueur et l’impartialité de l’enquête. Lorsque des accusations criminelles sont déposées, la publicité des procédures est assurée du fait qu’en principe, les audiences des tribunaux sont publiques.

Quatre ans plus tard, le DPCP semble malheureusement s’entêter à faire la sourde oreille aux recommandations empreintes de justesse et de bon sens formulées dans le rapport spécial de la Protectrice du citoyen.

Il s’agit-là d’une grave erreur de la part du DPCP puisque tout permet de croire que la pression en faveur d’une transparence accrue à l’égard de ses décisions en matière de décès de citoyens aux mains de la police ne va aller qu’en s’accentuant.

Quand le DPCP fait l’unanimité contre lui

Ainsi, lors des consultations particulières tenues l’an dernier à l’Assemblée nationale sur le projet de loi 12 - Loi modifiant la Loi sur la police concernant les enquêtes indépendantes – prévoyant la création d’un Bureau des enquêtes indépendantes, les intervenants de tout bord tout côté ont appelés le DPCP à cesser de cacher les motifs de ses décisions dans ce type de dossier.

En effet, pour une rare fois, des groupes de la société civile de même que des représentants d’organisations policières (chefs de police et syndicats policiers confondus) ont fait preuve d’une rare unanimité – une unanimité qui s’est cependant effectuée au dépend du DPCP.

Un survol des positions exprimées à l’occasion de ces consultations particulières révélera l’isolement croissant du DPCP sur cette question cruciale.

Dans son mémoire, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a écrit ce qui suit :

Tout en prenant acte du caractère indépendant du DPCP, la Commission soutient qu’il serait souhaitable qu’il rende public et, le cas échéant, explique sa décision de ne pas déposer d’accusation à la suite d’une enquête du BEI. À ce propos, la Commission recommande que l’article 289.21 du projet de loi précise cette obligation.

L’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec a abondé dans le même sens :

L’AGIDD-SMQ demande que le Directeur des poursuites criminelles et pénales expose ses motivations d’entreprendre ou non des poursuites criminelles tout en préservant la confidentialité des tiers qui y sont mentionnés.

Le Barreau du Québec a, lui aussi, mit de l’avant une recommandation similaire :

À notre avis, pour donner plein effet au « contrôle civil » sur les enquêtes qui portent sur des interventions policières, il y aurait lieu de prévoir une obligation de rendre publiques les conclusions de toute enquête qui porte sur une intervention policière ayant eu comme résultat des blessures graves ou un décès.

[…] le projet de loi 12 pourrait prévoir l’obligation de divulgation au public des conclusions de toute enquête lorsqu’il est recommandé qu’il n’y ait pas de suite sur les plans déontologiques ou criminels à une enquête.

La Ligue des droits et libertés a quant à elle recommandé au législateur d’amener le projet de loi afin d’y inclure « l’obligation de divulgation des résultats des enquêtes et des motifs détaillés de la décision de ne pas entreprendre de poursuites criminelles ».

Quant à la Confédération des syndicats nationaux, elle n’a pas caché sa déception devant le fait que le projet de loi 12 ne prévoyait aucune obligation de transparence à l’égard du DPCP :

Aussi, doit‐on s’étonner du fait qu’aucun article du projet de loi à l’étude n’assure au public l’accès aux résultats de l’enquête! Les motifs au soutien de la décision du directeur des poursuites criminelles et pénales de ne pas porter d’accusations criminelles ne seront pas non plus divulgués. Il n’y aurait qu’un transfert du dossier d’enquête du directeur du Bureau au directeur des poursuites criminelles et pénales et, s’il y lieu, au coroner.

Dans son mémoire, le Service de police de la Ville de Montréal plaide lui aussi en faveur d’une transparence accrue de la part du DPCP :

De plus, la décision de ne pas entreprendre de poursuites criminelles devrait également être motivée par le procureur du DPCP chargé du dossier. Dans un souci de transparence, un rapport présentant globalement les faits et la décision du DPCP devrait être rendu public dans les meilleurs délais.

Une position par ailleurs partagée par la Fraternité des policiers et policières de Montréal :

Dans une logique dominée par le souci de la transparence et dans une volonté de collaboration à l’institution d’un organe qui, nous l’espérons, sera bien accueilli par les Québécois, la Fraternité propose en outre, un complément à l’article 289.21 du Projet de loi n°12, en ajoutant à la mécanique qu’on y retrouve l’obligation, dans les cas où des accusations ne seraient pas portées au terme d’une enquête, de dévoiler publiquement les conclusions qui justifient cette décision.

Même son de cloche du côté de la Fédération des policiers municipaux du Québec :

La loi devrait prévoir que le directeur des poursuites criminelles et pénales doive expliquer sa position, lorsqu’il conclut qu’il n’y a pas matière à poursuite. À quoi sert toute cette transparence si, en fin de course, aucune explication n’est donnée?

On aura convaincu le public que l’affaire a été traitée par des intervenants indépendants, mais on ne l’aura pas convaincu du bien-fondé de la décision si elle n’est pas publiée. Le public doit pouvoir comprendre le pourquoi du pourquoi.

Le directeur des poursuites criminelles et pénales devrait rendre sa décision dans les meilleurs délais et en informer le public. S’il y a un retard, il doit en expliquer la cause.

[…]

Ainsi, la population sera en mesure de comprendre que le policier a agi dans les limites de ses pouvoirs et il sera disculpé publiquement, après avoir été pointé du doigt par différents intervenants.

« Il ne fait aucun doute que l’objectif de transparence ne pourra être atteint si le DPCP ne motive pas sa prise de décision auprès du public en expliquant les motifs la supportant », souligne pour sa part le Service de police de la Ville de Québec.

Dans son mémoire, la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec a fait directement allusion à l’intervention policière qui s’est terminée par les décès de Mario Hamel et de Patrick Limoges, le 7 juin 2011, en affirmant ceci :

[…] La scène avait été filmée, le public aurait pu être informé rapidement, ce qui aurait évité beaucoup de suspicion. Quand on ne donne pas d’information, quand les directions des services de police, le ministère de la Sécurité publique et le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) manquent de transparence les groupes antipolices en profitent pour nous attaquer en semant le doute et la suspicion dans les médias.

Brian Myles, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et journaliste au journal Le Devoir, disait dernièrement qu’on devait « rendre public le résultat de l’enquête, expliquer pourquoi on est arrivé à disculper un policier ou à pas porter d’accusation, ça serait au moins au minimum un pas dans la bonne direction ».

[…] Le ministre St-Arnaud devrait donc faire une directive claire afin que le DPCP rende public pourquoi il n’y a pas d’accusation de porter comme le demandent plusieurs personnes.

Enfin, il y a également lieu de souligner que la décision rendue par le DPCP en réponse à la demande d’accès à l’information va directement à l’encontre de l’intention du législateur exprimée à l’occasion des consultations particulières sur le projet de loi n° 109 - Loi sur le Directeur des poursuites publiques. Le ministre de la Justice et Procureur général du Québec de l’époque, Yvon Marcoux, avait en effet déclaré ceci :

Je pense que ce projet de loi marque une étape importante dans le domaine de la justice et constitue une amélioration de nos institutions. En créant ainsi un poste de Directeur des poursuites publiques, nous accentuons les garanties d'indépendance qui sont reliées à la fonction de la poursuite publique et nous renforçons la transparence du processus judiciaire. Il est important que nous puissions accroître la confiance de la population dans notre système judiciaire. Nous posons donc aujourd'hui, croyons-nous, les bons gestes en modernisant notre approche à l'égard du processus accusatoire. En définitive, l'institution de la charge de Directeur des poursuites publiques devrait mieux satisfaire aux impératifs fondamentaux de la justice.

Quant à au « secret professionnel » et au « privilège du poursuivant », également invoqués par le DPCP en soutien à sa décision, quelques remarques s’imposent ici même quant à leur portée.

Dans l’arrêt Maranda c. Richer, le privilège avocat-client a été défini de la façon suivante par la juge Deschamps de la Cour suprême du Canada :

Le privilège remplit une fonction sociale qui est celle de préserver la qualité, la liberté et la confidentialité des informations échangées entre un client et un avocat dans le contexte d’une consultation juridique. Il permet à tous les citoyens d’évoluer dans la société munis de toutes les informations et de tous les conseils nécessaires pour faire valoir leurs droits.  Il est intimement lié à l’accès à la justice. 

Or, la position des procureurs du DPCP se distingue nettement de celle d’avocats ayant reçu le mandat de représenter les intérêts d’un simple particulier désireux de faire valoir ses droits.

Faut-il de plus rappeler que la Couronne n’a aucune cause à gagner, contrairement à un avocat de pratique privée.

Dans l’arrêt R. c. Campbell, la Cour suprême du Canada a écrit ceci :

Il est vrai que la loi confère expressément au ministre de la Justice, qui est d’office Procureur général du Canada, la responsabilité de veiller «au respect de la loi dans l’administration des affaires publiques», et, qu’à ce titre, il n’est pas soumis à des directives de la même façon que s’il avait des clients privés:  voir Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J‑2, art. 4.

Il n’en est pas autrement pour le DPCP. En effet, la Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales, prévoit que le DPCP relève du ministre de la Justice et du Procureur général du Québec, et non d’un particulier.

Il est également opportun ici de rappeler que la Cour suprême du Canada a en outre fixé certaines limites au privilège avocat-client au nom de l’intérêt public, comme en fait foi l’arrêt Solosky c. La Reine :

Il en résulte, selon moi, que la Cour se trouve dans l’obligation de peser l’intérêt public qui veut le maintien de la sécurité et de la sûreté de l’institution carcérale, de son personnel et de ses détenus, et l’intérêt représenté par la protection de la relation avocat-client. Même si l’on reconnaît pleinement le droit d’un détenu de correspondre librement avec son conseiller juridique et la nécessité d’en déroger au minimum, la balance doit, en fin de compte, pencher en faveur de l’intérêt public. Mais l’intervention ne doit pas aller au-delà de ce qui est essentiel au maintien de la sécurité et à la réadaptation du détenu.

Criminal Justice Branch c. Davies

En Colombie-Britannique, les tribunaux supérieurs ont convenu de faire primer l’intérêt public sur le privilège avocat-client dans l’affaire Frank Paul, un membre des Premières nations décédé d’hypothermie après que des agents du service de police de Vancouver l’eurent abandonné dans une ruelle, le 5 décembre 1998.

Dans cette affaire, les procureurs du ministère du Procureur général avaient procédé à cinq reprises à un examen du dossier, et à chaque fois ils avaient conclu de ne pas porter d’accusations contre les policiers impliqués. Lorsque le commissaire William H. Davies a présidé l’enquête publique sur les causes et circonstances du décès de Frank Paul, il a ordonné à la division de la justice criminelle (Criminal Justice Branch, “CJB”) du ministère de fournir de la documentation sur la manière que ses procureurs ont traité le dossier. Devant le refus des responsables de la CJB, le débat s’est transporté devant les tribunaux.

Dans sa décision, le juge Melnick a souligné l’importance du maintien de la confiance du public envers le système de justice :

[52]           I will deal first with the application of waiver to immunity.  In my view, the direction of the Lieutenant Governor in Council to the Commissioner that he inquire into the “response” of the CJB to the death of Mr. Paul is a clear indication in all the circumstances that the Crown was waiving any claim of immunity.  The response of the CJB is not an abstract concept to be considered at the level of policy.  Rather, that response was real things done by real people in the exercise of their offices as prosecutors in the CJB.  As I discussed earlier in this judgment, it is an important and vital principle that prosecutors in the employ of the Crown who are charged with the responsibility of deciding whether or not a prosecution should be laid should be protected from having their decisions reviewed in any forum other than within the CJB.  However, an equally important public policy is the maintenance of the confidence of the public in the justice system and the appreciation that sometimes only transparency will ensure that confidence.  In my view, the Lieutenant Governor in Council resolved the conflict between these two very important public policy issues by creating the Inquiry and directing in the Terms of Reference that the Commissioner make findings of fact respecting the response of various institutions, including the CJB, and examine the rules, policies and procedures of the CJB relating to its role in its response where an individual dies in circumstances similar to the circumstances of Mr. Paul.

[…]

[61]           However, in my view, in the narrow and possibly unique circumstances here, if the written expression of the will of the Lieutenant Governor in Council and of the Attorney General has not been effective in waiving both Crown immunity and solicitor-client privilege, then the result is manifestly unfair to the public in general and to a significant group of interested citizens, namely the Aboriginal population and the Paul family. 

[…]

[67]          […] Because of the Lieutenant Governor in Council’s decision to waive Crown immunity, the honour of the Crown demands that the CJB waive solicitor-client privilege to enable the Commissioner to review the documents and, if necessary, require those individuals who were then with the CJB, and were participants in the response of the CJB to the death of Mr. Paul, to give evidence.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a maintenu cette décision, en faisant valoir que même les procureurs de la Couronne doivent parfois rendre des comptes au public :

[61]           In assessing what limits ought to be placed on the scope of inquiries, however, the courts must be alive to the very real need for public confidence in the prosecutorial system.  Prosecutorial independence is, undoubtedly, a sacrosanct value.  That does not mean, however, that all attempts to establish a form of public accountability for exercises of prosecutorial discretion ought to be eschewed.  In recent years, legal systems have recognized the need for some methods by which the Crown can account to the public for its exercises of prosecutorial discretion, without interfering with prosecutorial independence.

[62]           The need has been seen as particularly acute in high-profile cases where decisions have been made not to proceed with charges.  In England, under the Prosecution of Offences Act 1985 (UK), 1985, c. 23, courts have found a limited duty on prosecutorial authorities to provide reasons for non-prosecution decisions, and a concomitant right to judicial review: R. v. Director of Public Prosecutions, Ex p. Manning, [2001] Q.B. 330 (D.C.).

[63]           In British Columbia, a commission of inquiry made the following recommendation, which has been adopted by the Crown:

Where a decision not to prosecute has been made, and the public, a victim or other significantly interested person is aware of the police investigation, it is in the public interest that the public, victim or other significantly interested person be given adequate reasons for the non-prosecution, by either the police or Crown Counsel.

(The Owen Inquiry (Discretion to Prosecute Inquiry, Commissioner’s Report (Victoria: The Inquiry, 1990)), recommendation #8(2), at 110 and 118)

Notons que la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’appel déposée par le ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique.

Il existe une base juridique solide permettant au DPCP de rendre public les motifs de ces décisions dans des affaires de décès de citoyens aux mains de la police.

Accusations rarissimes

Les motivations du DPCP à garder secrètes ses décisions dans ce domaine relèvent peut-être davantage d’une volonté de sauver la face que de soucis d’ordre juridiques.

Les citoyens seraient sans doute nombreux à tomber des nues s’il fallait qu’un jour les décisions du DPCP rendues dans les affaires de décès de citoyens aux mains de la police deviennent accessibles aux communs des mortels.

Prenons les plus récents chiffres du ministère de la Sécurité publique sur les « enquêtes indépendantes », nom officiel désignant les enquêtes criminelles que mènent un corps policier lorsqu’un citoyen perd la vie ou subit des blessures graves lors d’une intervention policière ou de la détention aux mains d’un autre corps policer.

Depuis 1999, 416 de ces enquêtes ont été complétées.

Sur 416 dossiers complétés, seulement quatre ont donné lieu à une mise en accusation en matière criminelle pour les policiers impliqués, ce qui donne une moyenne de moins 1 %.

Le premier de ces quatre dossiers est l’affaire Jean-Pierre Lizotte, un poète sans-domicile-fixe âgé de 45 ans tabassé par un policier devant la terrasse du Shed Café, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal, dans la nuit du 4 au 5 septembre 1999.

Dans cette affaire, les accusations d’homicide involontaire, de voies de faits graves et de voies de fait causant des lésions corporelles déposées à l’égard de l’agent Giovanni Stante n’avaient pas été portées par un procureur de la couronne, mais bien par le juge François Doyon de la Cour du Québec, en avril 2000. C’est que le procureur au dossier, Me Michel Breton, avait opté pour une pré-enquête, une procédure à huis-clos plutôt rare, plutôt que de prendre la décision lui-même. L’agent Stante a été acquitté à l’été 2002, mais, fait intéressant, le juge Claude Larouche de la Cour supérieure a conclu, à l’été 2011, que le policier avait fait preuve de force excessive.

Le second dossier est l’affaire Jean-François Bergeron, un jeune homme âgé de 20 ans décédé à Saint-Félix-de-Valois, le 8 avril 2003. L’agent Hugo Potvin de la Sûreté du Québec avait été accusé de négligence criminelle causant la mort et de négligence criminelle causant des lésions corporelles, de conduite dangereuse ayant causé la mort et de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles en février 2004 et a été acquitté en août 2006, mais a plaidé coupable devant le Comité de déontologie policière, en novembre 2007, qui lui a imposé une suspension de 60 jours, en avril 2008.

Le troisième dossier concerne l’agent Nicolas Bélanger du SPVM, qui a été inculpé de trois accusations criminelles, soit trois chefs de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles à autant de citoyens relativement à une collision survenue à l’intersection des rues Sherbrooke et Jetté, dans l’est de Montréal, le 7 avril 2009.

Enfin, le quatrième et dernier dossier concerne l’agent François Laurin de la Sûreté du Québec, qui a été inculpé d’avoir causé la mort d’Éric Rompré, 25 ans, en conduisant un véhicule à moteur de façon dangereuse sur la route 148, à la hauteur de Papineauville, le 16 juin 2012.

Comme on le voit, dans trois cas sur quatre, il s’agit d’accidents de la route impliquant un véhicule de police.

C’est donc dire qu’il faut remonter jusqu’en 2000 pour trouver un cas où un policier a dû répondre d’accusations criminelles pour avoir usé de la force lors d’un incident qui s’est soldé par le décès d’un citoyen, en l’occurrence Jean-Pierre Lizotte.

Notons qu’au Québec, les dossiers du DPCP concernant des policiers font l’objet, depuis 1988, d’une directive spécifique prévoyant « la possibilité de confier le dossier à un procureur d'un district judiciaire autre que celui ou ceux où le policier exerce ou a exercé ses fonctions, en particulier dans les cas suivants ».

Cette façon de procéder ne va d’ailleurs pas sans rappeler l’actuel mécanisme d’enquête consistant à transférer une enquête sur la conduite d’un policier à un corps policier extérieur.

Nos recherches nous ont permis d’établir que des procureurs du DPCP d’un autre district judiciaire ont été désignés dans des dossiers médiatisés de décès de citoyens aux mains de la police (affaires Richard Barnabé, Jean-Pierre Lizotte, Mohamed Anas Bennis, Fredy Villanueva).

La Coalition contre la répression et les abus policiers est d’avis que le DPCP devrait se voir retirer les dossiers concernant des policiers impliqués dans des incidents graves, comme les décès de citoyens aux mains de la police, de la même façon que le législateur québécois a décidé de mettre fin aux enquêtes de la police sur la police.

Si le législateur québécois a réalisé que la création d’un nouvel organisme, en l’occurrence le Bureau des enquêtes indépendantes, était nécessaire pour sauvegarder ce qui reste du lien de confiance entre le public et le système judiciaire, la situation n’est pas différente en matière des mises en accusation concernant les policiers impliqués dans des incidents graves.

La confiance du public risque, en effet, de ne pas être au rendez-vous si les policiers continuent d’être blanchis systématiquement par des décisions rendues par le DPCP, et ce, même l’enquête criminelle a menée par un éventuel Bureau des enquêtes indépendantes.

Nous sommes d’ailleurs loin d’être les seuls à penser que le processus décisionnel visant à déterminer si un policier a fait preuve d’une conduite criminelle doit être confié à des avocats qui ne travaillent pas main dans la main avec la police à longueur d’année, comme c’est le cas des procureurs du DPCP.

Dans son rapport sur le décès de Frank Paul, le commissaire William Davies a noté que les procureurs de la couronne appliquent une politique différente à l’égard des dossiers concernant des policiers. De plus, un « procureur spécial » doit être assigné lorsqu’un officier supérieur de la police fait l’objet d’une allégation criminelle. Un manuel de directives des procureurs de la couronne indique en outre que ces politiques distinctes sont fondées sur une appréhension de conflit d’intérêts et le besoin de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice.

« [TRADUCTION] Je suis convaincu que [cette politique] découle de la relation de travail étroite qui existe entre les procureurs et les policiers dans une collectivité donnée. Il est inévitable que des liens de camaraderie se développent au fil du temps, même si les deux ont l’obligation professionnelle d’agir de façon indépendante dans leurs sphères d’activités respectives », écrit le commissaire Davies.

Dans son rapport sur le décès de Robert Dziekański, le commissaire Braidwood a aussi fait allusion aux perceptions de conflit d’intérêts au sein du bureau des procureurs de la couronne, et conclut qu’il serait « inapproprié » pour les avocats qui en font partie de procéder à l’évaluation de mises en accusation à l’égard d’incidents concernant la police. « [TRADUCTION] Dans des questions aussi sensibles, il suffit d’une perception de conflit d’intérêts pour saper la confiance du public », a-t-il noté, avant de recommander qu’un procureur spécial soit désigné pour prendre en charge ce type de dossier.

En Ontario, un bureau spécial des procureurs a été mis sur pied pour traiter les affaires criminelles relatives aux policiers. Les résultats laissent cependant à désirer.

À quand des jurys de citoyens ?

La Coalition contre la répression et les abus policiers croit qu’une solution optimale consisterait à mettre sur pied des jurys populaires pour décider si des accusations doivent être portées contre les policiers. Comme on dit si bien : aux grands maux les grands remèdes !

Concept vieux de plus de mille ans, le système des grands jurys a été repris avec différentes variantes dans plusieurs pays, incluant au Canada et au Québec. À l’époque, les grands jurys, qui se faisaient aussi appeler jury d’accusation, exerçaient la fonction de Corps d’Enquête préliminaire ou Chambre de mise en accusation au sein du système judiciaire canadien.

Les grands jurys d’autrefois avaient le pouvoir de faire comparaître des témoins et de les interroger, de même que de « s’enquérir de toutes autres offenses contre la société et d’en donner connaissance à la Cour par une dénonciation ». Lorsqu’au moins douze jurés sur vingt-trois croyaient que l’acte d'accusation était fondé, ils devaient envoyer l’accusé subir son procès. On peut dire que la fonction de jury d’accusation ressemblait à celle qu'exerce aujourd'hui un juge de paix présidant une enquête préliminaire.

L’institution des grands jurys a progressivement disparue du système judiciaire canadien au cours du 20e siècle, la Nouvelle-Écosse ayant été la dernière province à avoir procédé à son abolition, en 1984.

Un simple amendement au Code criminel permettrait de réintroduire le système des jurys d’accusations dans le système judiciaire, ce qui est hors de portée du législateur québécois.

Nous sommes d’avis que la constitution d’un jury d’accusation devrait être obligatoire à chaque fois qu’un citoyen perd la vie ou subit des blessures graves aux mains de la police, ou tout autre incident grave impliquant un policier. La sélection des membres du jury d’accusation devrait être effectuée en public et en présence d’un juge. Le tribunal aurait notamment pour responsabilité de s’assurer que les candidats au jury d’accusation ne sont pas contaminés d'un parti-pris quelconque.

Une fois la sélection des douze jurés complétée, le jury d’accusation commencerait à siéger en public devant un tribunal présidé par un juge qui exercerait alors la fonction de juge du droit. Les membres du jury d’accusation n’étant pas des juristes, le juge devrait leur donner les explications et directives appropriées qui les aideront dans l’accomplissement de leur mandat. Le rôle du juge consisterait également à trancher les objections et autres questions de droit, comme l’admissibilité de certains éléments de preuve.

Le jury d'accusation exercerait quant à lui la fonction de juge des faits. Il aurait également le pouvoir discrétionnaire d’ajouter tout autre chef d'accusation qu’il jugera approprié, le cas échéant.

Le gouvernement devrait aussi créer un poste de procureur spécial indépendant, qui se distinguerait des avocats du DPCP par le fait qu’il ne travaillerait aucunement avec la police. Le mandat du procureur spécial indépendant se limiterait exclusivement à la préparation de la preuve à être présentée devant le jury d’accusation. Il aurait notamment pour tâche de dresser une liste de témoins qui devraient être entendus par le jury d’accusation, de procéder à l’interrogatoire des témoins oculaires et des témoins experts ainsi que de produire tout élément de preuve pertinent à l’affaire.

À l’instar des jurys d’accusation qui existaient autrefois, le jury d’accusation devrait jouir de certains pouvoirs, dont celui de faire comparaître des témoins et d’ordonner la production de tout élément de preuve se rapportant à l’affaire. Bien qu’il ne soit pas encore formellement inculpé au stade du jury d’accusation, le policier mis en cause devrait jouir de certains droits qui sont reconnus aux accusés en matière criminelle, dont le droit d’assister aux procédures et le droit d’y être représenté par un avocat.